Le texte rêve : manière de dire qu'un écrit littéraire vit une vie nocturne et que, de cette vie, nous pouvons entrevoir quelques fantômes. Manière de reconnaître qu'un lecteur attentif peut amener un tel écrit à raconter, dans une autre langue, ce qui se passe sur la scène obscure qu'on dit être celle de l'inconscient. Manière de suggérer que le critique peut éclaircir, un peu, la nuit, reprendre en écho la rumeur, afin que le public sache où porter ses pas, à quoi prêter l'oreille. Pour que lecture et écriture manifestent leur séduction, en donnant occasion à quelque vérité de se produire au jour, il faut qu'elles nous fassent rêver, il faut qu'elles nous incitent à rêvécrire, chacun pour son propre conte... Enfin ! On a récemment retrouvé les restes d'Alain-Fournier, mort sur le front au début de la Première Guerre mondiale ! Dépouillage d'archives, recoupements, fouilles sur le terrain et, finalement, les ossements sont réapparus et ont été identifiés. Tout cela pourrait sembler fort secondaire et anecdotique : en fait, semblable exhumation prouve à quel point, dans le cas de l'auteur du Grand Meaulnes, il est essentiel tout à la fois de mieux fonder l'enracinement de l'écrivain dans sa terre natale, dans sa patrie pour laquelle il a donné sa vie, et de retrouver ses (saintes) reliques pour mieux les adorer. Alain-Fournier est l'objet d'un culte : toujours idéalisé, angélisé... C'est justement ce mythe, particulièrement encombrant et factice, que voudrait profaner cet essai qui montre comment Alain-Fournier a élaboré toute une stratégie romanesque, visant la déculpabilisation et la sublimation (par ses lecteurs) de son propre imaginaire. Oui, Le Grand Meaulnes est un logiciel d'idéalisation et de purification, comme il en est de traitement de texte.
Dossier de La République des Lettres. Biographie de Jean-Paul Sartre suivie d'une Brève histoire de l'Existentialisme et d'un article sur Sartre au Proche-Orient. Le succès de Jean-Paul Sartre, à l'origine de l'existentialisme, prit à partir de 1945 des proportions étonnantes et le philosophe devint, avec Simone de Beauvoir, le centre d'une constellation d'artistes de talent. Du point de vue philosophique, il vaudrait mieux parler d'"existentialismes français" au pluriel et distinguer une tendance chrétienne, où se situeraient Gabriel Marcel, Emmanuel Mounier, Jean Wahl, et une tendance athée, représentée par Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty.
La correspondance joue un rôle privilégié dans l'ensemble de la Recherche du temps perdu. Lettres, billets, télégrammes, petits bleus, conspirent à faire de cette oeuvre une machination postale, particulièrement complexe et rusée. Jusqu'aux relations à autrui, toutes, elles en passent par la lettre, envoyée ou reçue : il n'est de proximité supportable, que dans l'écart d'une distance épistolaire. Seul l'éloignement, autorise littéralement l'intimité. Simultanément au plus près et au plus loin, telle est la posture fondamentale de l'écriture proustienne, dont l'échange postal est le rite fondateur. Ainsi, lire les lettres de Marcel Proust - aussi bien la lettre fictive dans la Recherche, que sa correspondance privée - permet de s'installer en ce lieu décisif - parce que producteur de l'oeuvre - où s'échangent et communiquent les sphères du public et du privé, du romanesque et du biographique.
La besogne des historiens d'art, est la besogne la plus écoeurante qui soit, et un historien d'art bavard - et il n'y a d'ailleurs que des historiens d'art bavards - devrait être chassé à coups de fouet du monde de l'art, a dit Reger. Thomas Bernhard, Maîtres anciens
« Je voudrais que cette biographie soit l'histoire du corps de Paul Verlaine, le récit des dangers auxquels il ne cesse de l'exposer et du prix fort auquel il lui faut les payer. Vivre, c'est d'abord, c'est avant tout se détruire. Il n'est d'existence possible que dans sa déconstruction acharnée, que dans le vertige de la chute. En somme, je désirerais mettre un terme à l'entreprise si typique de la critique verlainienne qui consiste à protéger la pure inspiration poétique de l'indigne pourceau qui en est miraculeusement habité, à mettre la sublime quintessence de l'oeuvre à l'abri des infamies et des trivialités de la vie. Il suffit vraiment. Il est grand temps d'opérer un radical renversement. Chez Paul Verlaine, le corps n'est pas l'obstacle à vaincre, à dépasser, à transcender, il est au contraire la seule mesure possible, l'unique instrument d'expérimentation, l'irremplaçable laboratoire du travail poétique. Si une nouvelle biographie de Verlaine se révèle à l'heure actuelle indispensable, c'est précisément afin de raconter l'histoire de son corps : se demander, par exemple, comment le naufrage corporel est indissociable d'une violente réincarnation physique et sexuelle de sa poétique, d'abord si éthérée. Ou encore pourquoi l'hôpital devient chez lui le site privilégié de la création poétique comme l'était la pure nature chez les romantiques ». Alain Buisine
Madame Bovary... encore !... Tant et tant d'analyses ont déjà été consacrées à cette petite bonne femme de province ! Son ennui, sinistrement existentiel, ses dérisoires achats vestimentaires, ses misérables adultères... Aujourd'hui , on l'imagine sombrant dans tous les clichés contemporains, se berçant d'illusions consuméristes et, peut-être même, s'abonnant à internet pour être à l'écoute du vaste monde. Et pourtant, d'innombrables générations de lecteurs n'ont pas manqué de se reconnaître dans cette médiocrité, au point que son nom de femme est devenu le synonyme d'une certaine forme d'inadaptation au réel, le bovarysme. Emma est ordinaire, Emma est sotte, Emma se trompe constamment, Emma s'aveugle. Néanmoins, si l'épouse de Charles Bovary continue à nous séduire et à nous intéresser, c'est parce qu'en dépit de ses défauts et de ses échecs, elle est aussi une femme de désir, une femme qui assume ses fantasmes.