On supposera qu'il existe une histoire universelle des genres au sein de laquelle certains noms tiennent lieu de repères, ouvrant ou achevant des aventures formelles ; scansion triomphante ou tragique. Proust et Musil figurent dans l'histoire du roman, à un moment où, au début du XXe siècle, le sujet, voire le sujet de l'écriture, ne s'appartient plus à lui-même, où la conscience, privée de son miroir autobiographique, n'est que poussière de temps, où enfin l'homme, fût-il homme de lettres, n'apparaît plus ès qualités et où la question fondatrice devient : Comment, et malgré cela, écrire ? Ce que la comparaison met en lumière, c'est de quelle manière les choix esthétiques de chacun relèvent de choix éthiques contradictoires, donnant à lire de manière exemplaire le partage des écritures d'une époque. Paris contre Vienne ? Sans doute, à la condition que l'on considère ici et là l'effet singulier d'une vérité et l'épaisseur historique de cette opposition, mais aussi que l'écriture surgit comme un événement imprescriptible, fût-ce par un lieu.
« En proie à l'Étranger », écrit Jacques Hassoun, « en proie à la xénophobie, la République est parfois tentée de détruire ses mythes fondateurs [...] et de piétiner ses emblèmes. [...] En arriver à rabattre sur sa propre légalité au nom de ce pelé, ce galeux, par qui tous les malheurs arrivent, l'Étranger, tel est le paradoxe auquel nous sommes aujourd'hui confrontés. » Anne Longuet Marx croise sa réflexion par une fable dédiée : À ceux dont le nom à prononcer est difficile, au tailleur du Sentier qui fut leur ami, à Ulysse quand il s'appelle Personne.