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Michel Pirioua
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Accident de la route : "comment j'ai refusé le handicap"
Michel Pirioua
- eBooks et compagnie
- 1 Mai 2013
- 9782367920344
Extrait
Au mauvais endroit, au mauvais moment...
10 février 2006. C'est mon premier jour dans un journal de l'Oise dont le rédacteur en chef est un ami. J'ai déjà un article sur le feu et la journée avance vite. Le temps est maussade, la nuit tombe, je décide finalement de rentrer assez tôt chez moi. À moto, comme toujours. Je pilote depuis 6 ans, sans excès, sans forcer. La vitesse, très peu pour moi, je le répète. J'ai l'expérience de la route et je connais pertinemment les limites de ces engins. Je suis un motard père de famille, pas un casse-cou.
Je quitte donc le journal, assis sur mon Fazer, une routière de 600 cm3. Il est environ 19 h 00. Il fait nuit maintenant et une pluie fine se met à tomber. Pas question de forcer l'allure. Il reste encore 40 kilomètres à avaler. J'entre dans la forêt de Compiègne par cette route que je connais si bien et j'aborde un passage à niveau placé au milieu d'un double virage : à droite puis à gauche avant une longue ligne droite. Trois cents mètres plus loin, un carrefour. Je suis prioritaire. Un automobiliste arrive sur la droite et s'arrête au stop. Mais il redémarre au moment même où j'arrive.
Je pense avoir fermé les yeux au moment de l'impact. Enfin je ne sais plus. Trou noir. Quand je les ouvre de nouveau, la pluie a cessé, la forêt et la nuit se sont, elles aussi, évanouies. En une fraction de seconde, je me retrouve allongé dans un lit, face à des murs beiges percés d'une fenêtre qui laisse entrevoir le ciel et un bout de toit. Je suis dans une chambre d'hôpital, c'est évident. À gauche de mon lit, une porte. Quelqu'un frappe. Et sans attendre ma réponse, une infirmière entre, tout sourire : « Bonjour M. Pirioua. Vous allez bien ? » Je réponds oui, machinalement, avec cet étrange sentiment de ne pas savoir si cette affirmation correspond bien à la réalité : tout ne doit pas aller si bien puisque je suis hospitalisé ! Bref, je m'empresse de lui poser la question qui me taraude depuis mon réveil, même si je crains de passer pour un débile : « Je suis dans quel hôpital ? » Cathy (elle s'est présentée ainsi) ne marque aucune surprise (c'est rassurant). « Vous êtes à Compiègne. » Bon, je connais la ville, j'y travaille. Le terrain m'est familier.
Second événement positif - et ô combien rassérénant de cette journée de renaissance : l'arrivée de mon épouse, Dominique, quelques minutes seulement après l'entrée de mon infirmière. « Bonjour. Tu vas bien aujourd'hui ? », m'interroge-t-elle, avant de saluer Cathy qu'elle semble bien connaître. Réponse automatique de ma part : « Je vais bien. Qu'est-ce que je fais ici ? »
Je lis alors dans son regard, non pas de l'étonnement mais le souci de bien formuler la réponse : « Tu as eu un accident de moto. Tu ne te souviens vraiment de rien ? » Et c'est à ce moment-là que j'ai pris réellement pied dans ma nouvelle réalité. Deux mois et demi s'étaient écoulés depuis l'accident. J'étais cloué au lit, amaigri, paralysé. Et aucun souvenir du drame. Comment était-ce possible ? J'aurais dû au moins me souvenir du choc, de sa violence, des pompiers qui m'ont ramassé, de la sirène de l'ambulance ... Mais non. Rien, absolument rien !
Dans mon souvenir, nous avons différé l'exposé des faits au lendemain. Il fallait d'abord combler ces deux mois et demi où j'avais été inconscient. Domie m'a donné des nouvelles de mes deux filles adorées (Lucile, 16 ans, et Léa, 12 ans), de la famille et des amis, manière de réintégrer, un peu, le cours de ma vie. Puis elle est rentrée à la maison. Première séparation pour moi. Car en réalité, cela faisait plusieurs semaines que j'avais rouvert les yeux, communiquant avec mon entourage. Mais cela non plus, je n'en ai aucun souvenir. Pour moi, les minutes que je viens de relater sont celles durant lesquelles j'ai eu vraiment conscience de la réalité. Tout ce dont je me « souvenais » des deux mois précédents, ce n'était qu'un long rêve, une sorte de voyage dans un monde parallèle. Dominique me permettra de recoller toutes les pièces une à une : un long travail mené avec l'aide des infirmières, des kinés et des médecins.
L'accident, c'est donc Dominique qui me le raconte : le croisement, la voiture qui redémarre trop tôt et me percute de plein fouet. Je suis éjecté de la moto, projeté sur l'autre voie, heurtant un panneau indicateur avant de retomber au sol Par chance (et oui, il en faut un peu) le chauffeur d'un camion arrivant en sens inverse a un étrange pressentiment et freine. Il s'arrête à quelques mètres de moi. Transport à l'hôpital de Compiègne, service des urgences et examens. Diagnostic : crush syndrom avec hémorragie interne et empoisonnement du sang. Une série de termes barbares pour dire que je suis dans un sale état ! Il paraît que je suis très agité. Je dois souffrir. On décide alors de me plonger dans un coma artificiel, seul moyen de faire disparaître la douleur.
Le médecin qui m'a sauvé la vie pense qu'en retombant, mes jambes ont fait un grand écart. Sous la pression musculaire (je suis sportif, coureur de vitesse et tennisman) mon bassin s'est séparé par le milieu, provoquant un étirement des terminaisons nerveuses. Conséquence : fracture du bassin et paralysie des membres inférieurs et supérieurs. Fort heureusement, la moelle épinière n'est pas touchée. Rien de définitif par conséquent.
Au terme de son exposé, Dominique est inquiète. Je le vois bien. Elle craint ma réaction, elle a peur que je m'effondre. Curieusement, je reste calme : « J'en ai pour longtemps avant de m'en remettre ? » Et là Domie m'explique que mes gaines nerveuses, sérieusement endommagées, doivent se reconstituer. C'est comme refaire le circuit électrique défectueux d'une maison. Sans cela les appareils (les muscles en ce qui me concerne) ne fonctionnent pas. La comparaison s'arrête là car aucun chirurgien, même électricien de formation, ne pourra remplacer un système nerveux défaillant. Le corps doit se régénérer avec ses propres ouvriers, le cerveau et les fibres nerveuses, des travailleurs extrêmement lents : pas plus de 2 millimètres de gaines réparées par jour. Or, le chantier s'étend sur plusieurs kilomètres. Il va falloir de la patience, beaucoup d'exercices de kiné et une sacrée dose de volonté.
Mon physique de rugbyman, c'est donc du passé. En deux mois et demi de coma, toute ma musculature a fondu, j'ai perdu plus de 30 kilos. Je le constate en soulevant les draps, sans que cela ne m'effraie : mes jambes sont squelettiques, mes mollets et mes cuisses, autrefois puissants, n'ont plus aucun volume. Fixée à mon abdomen, une large ceinture de fer m'enserre le bassin pour le maintenir. Là encore, pas de peur. Je suis beaucoup plus étonné par tous ces poils qui recouvrent mes membres inférieurs : je n'en avais pas avant l'accident. La raison ? Je n'oserai pas la demander aux médecins avant plusieurs semaines, craignant d'être victime d'une terrible mutation. Pourtant, l'explication est d'une simplicité enfantine : quand on marche, le frottement du pantalon provoque une sorte d'épilation naturelle. Or, cela fait plus de deux mois que je ne marche plus !