Les images de manifestants mettant à terre une statue du marchand d'esclaves Edward Colston au Royaume-Uni ou celles de la grue soulevant de leur piédestal le général confédéré Robert E. Lee et son cheval aux États-Unis ont fait le tour du monde. L'attention extraordinaire portée par le public et les médias à ces déboulonnages suggère que nous sommes témoins d'un moment charnière dans la politique mondiale de la mémoire.
En faisant appel à près de cinquante historiens et historiennes, sociologues, anthropologues du monde entier, Sarah Gensburger et Jenny Wüstenberg invitent à saisir, sur le temps long, les nombreuses formes de cette « dé-commémoration ». La suppression de symboles publics n'est ni une pratique nouvelle, ni une singularité occidentale, ni, nécessairement, l'action de militants luttant contre les héritages racistes et coloniaux. Elle est le résultat d'idéologies et d'intérêts politiques très différents comme, parfois, la conséquence de phénomènes plus ordinaires.
Des statues de Lénine en Ukraine à celle de Joséphine de Beauharnais en Martinique, des noms de rues en Algérie ou à Vichy au cimetière de Khavaran en Iran, en passant par les monuments coloniaux en Namibie ou l'acte de voter aux États-Unis, le mouvement se révèle complexe et diversifié. Une réflexion essentielle sur la manière dont les sociétés peuvent transformer, ou non, le passé.
Sarah Gensburger est politiste et sociologue, directrice de recherche au CNRS, à Sciences Po Paris. Elle a publié de nombreux ouvrages parmi lesquels, avec Sandrine Lefranc, À quoi servent les politiques de mémoire ? (Presses de Sciences Po, 2017), traduit depuis en quatre langues, et Qui pose les questions mémorielles ? (CNRS Éditions, 2023).
Jenny Wüstenberg est professeur d'histoire et d'études de la mémoire à l'université de Nottingham Trent et cofondatrice de la Memory Studies Association. Elle a publié plusieurs ouvrages, dont Civil Society and Memory in Postwar Germany (Cambridge University Press, 2017) et Handbook of Memory Activism (co-direction, Routledge, 2023).
L?histoire ? la discipline historique ? ne peut rien changer à ce qui est advenu : presque six millions de juifs d?Europe ont été exterminés par le régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale. Du moins a-t-elle parfois la vertu de changer la perception que nous avons de notre passé, d?en modifier notre compréhension.
C?est à une relecture de ce type que se livre magistralement Florent Brayard dans le présent ouvrage. De 1939 à 1942, la politique antijuive nazie avait connu de profondes mutations, et la « solution finale de la question juive » avait pu recouvrir des projets aussi différents que la transplantation totale des juifs hors d?Europe ou leur meurtre systématique. C?est cette évolution, parfois hésitante et dont Wannsee fut une étape, que l?auteur décrit en l?inscrivant dans le cours de la guerre et mettant au jour les soubassements idéologiques qui justifiaient ces politiques. Mais, une fois passée la phase d?élaboration, le moment de la réalisation venu, il n?y eut plus aucune hésitation. Et le moins stupéfiant n?est pas que, au bout du compte, en juin 1942, Hitler avait décidé que la « solution finale » ? devenue à présent synonyme de meurtre ? devait être achevée en une année : pour cette grande partie de l?Europe occupée par l?Allemagne, elle le fût.
Saviez-vous que le Christmas pudding est une recette impériale, composée de rhum jamaïcain, de raisins secs d'Australie, de sucre des Antilles, de cannelle de Ceylan, de clous de girofle de Zanzibar, d'épices d'Inde et de brandy de Chypre ? Que le n c m m fut introduit
en Europe à la faveur de la Première Guerre mondiale, lorsque
le Gouvernement général de Saïgon en fit venir pour approvisionner
les nombreux travailleurs indochinois employés sur le Vieux Continent ?
Que le café a d'abord été éthiopien avant d'être un produit mondialisé ?
Qu'un des symboles de l'américanisation, le ketchup, est aujourd'hui confectionné en grande partie à partir de concentré de tomates chinois ? Que le raki,
ce « lait de lion » dont raffolait Mustafa Kemal Atatürk, a attendu l'année 2009 pour devenir la boisson nationale de la Turquie ?
Deux ans après le Magasin du Monde, Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre ont convié historiennes et historiens à l'écriture d'une histoire du monde par les produits alimentaires. Des frites au parmesan, de la chorba au ceviche en passant par la margarine, ces aliments, tantôt simples, tantôt savamment préparés, nous permettent de comprendre, au plus près de nos pratiques intimes, la mondialisation et ses limites.
Un savoureux voyage dans la grande épicerie du monde.
La fin de la République est, du point de vue des sources romaines, un long siècle marqué par les guerres civiles : Sylla contre Marius, César contre Pompée, Octavien contre Antoine. Des guerres qui n'auraient été que des règlements de comptes entre factions romaines, interrompues par des campagnes contre des barbares ou des rebelles.
En réalité, la situation militaire se révèle bien plus complexe. De l'Espagne à la Mésopotamie, la perspective est mondiale. Car face à cette expansion, Berbères, Hispaniques, Gaulois, Grecs, Thraces et Arméniens sont plus que des pions sur le plateau de l'imperium Romanum. À côté d'Octavien ou d'Antoine, des étrangers - certes moins connus que Cléopâtre - prennent part au Grand Jeu entre Rome, les Parthes et les peuples voisins. Le Maure Bogud, le Cilicien Tarcondimotus ou encore l'Arménien Artawazd influencent ainsi la politique intérieure républicaine.
Dépassant le cadre réducteur de l'Italie, Giusto Traina retrace les dernières années d'une République romaine qui se projette par-delà ses frontières. Par ce récit renouvelé, il sort les acteurs étrangers de leur rôle de seconds couteaux.
Professeur d'histoire romaine à Sorbonne Université, Giusto Traina est spécialiste d'histoire militaire et de géopolitique du monde ancien. Parmi ses publications les plus récentes : 428, une année ordinaire à la fin de l'Empire romain (nouvelle édition revue et corrigée, Pluriel, 2020), et Histoire incorrecte de Rome (Les Belles Lettres, 2021).
Au début du xxe siècle, quatre-vingts militaires français accompagnés de six cents tirailleurs envahissent deux puissantes villes du Sahara et du Sahel. La France, comme plusieurs autres pays européens, considère alors les territoires africains comme des espaces à s'approprier. Elle se substitue par la force aux gouvernements existants, au nom d'une supériorité civilisationnelle fondée sur le racisme.
Depuis le coeur de ces deux villes, grâce à une documentation exceptionnelle, Camille Lefebvre examine comment s'est imposée la domination coloniale. Militaires français, tirailleurs, mais aussi les sultans et leur cour, les lettrés et les savants de la région, sans oublier l'immense masse de la population, de statut servile ou libre, hommes et femmes : tous reprennent vie, dans l'épaisseur et la complexité de leurs relations. Leur histoire révèle la profondeur des mondes sociaux en présence ; elle retisse les fils épars et fragmentés des mondes enchevêtrés par la colonisation.
Les sociétés dans lesquelles nous vivons, en France comme au Niger, sont en partie issues des rapports de domination qui se sont alors noués ; s'intéresser à la complexité de ce moment nous donne des outils pour penser notre présent.
L'affaire à l'origine de l'unique guerre entre la France et les États-Unis
L'affaire XYZ reste un mystère. Une histoire méconnue.
Presque oubliée.
Vingt ans après la guerre d'Indépendance, la France et les États-Unis sont au bord de la rupture. Pour apaiser les relations, le nouveau président américain, John Adams, dépêche trois émissaires à Paris.
Approchés par plusieurs agents doubles, ils sont l'objet d'étranges manigances. Entre demandes de pots-de-vin et menaces de rétorsion, ils découvrent la face cachée d'un ministre vénal et ambitieux : Talleyrand.
À la croisée de la machination politique, du complot diplomatique et de la tentative d'extorsion, l'affaire XYZ provoque un gigantesque scandale et déclenche le seul conflit armé entre la France et les États-Unis.
Dans ce récit captivant nourri de nombreuses archives, Guillaume Debré nous plonge dans les arcanes d'une intrigue qui va laisser une trace indélébile sur les relations entre les deux pays.
Directeur adjoint de la rédaction de TF1, Guillaume Debré a vécu seize années aux États-Unis. Journaliste pour la chaîne CNN puis correspondant à Washington, il est l'auteur de nombreux ouvrages sur la politique et sur l'histoire américaine, notamment L'Affaire La Fayette (Robert Laffont, 2018).
Pendant longtemps, pour parler de la France, on invoquait son âme, son génie ou son esprit. Puis, à partir des années 1980, ces beaux mots ont été supplantés par l'identité : « identité de la France », « identité nationale », mais aussi « identité républicaine de la France » selon Jean Pierre Chevènement, qui voyait dans la République une étape obligée vers le socialisme. Après avoir retracé l'histoire de cette expression, Jacqueline Lalouette analyse la teneur de l'identité républicaine, fondée sur la mémoire des Lumières et de la Révolution française, régulièrement réactivée. Or, dans le contexte actuel de « démocratie représentative fatiguée », deux des grands principes républicains, l'indivisibilité et la laïcité, en théorie garants de l'unité de la nation, font naître des tentations séparatistes, que la loi du 24 août 2021 a entendu combattre. L'historienne invite dès lors à prendre du recul, à méditer sur le rapport, parfois méfiant, des Français à leur République et sur la nécessité de revenir à l'intérêt général. Jacqueline Lalouette est professeur émérite (Université de Lille) et membre senior honoraire de l'Institut universitaire de France. Spécialiste de la Libre Pensée, de l'anticléricalisme et de la séparation des Églises et de l'État, elle s'est également intéressée à l'histoire de la Belle Époque, aux fêtes légales, à la biographie de quelques hommes politiques (Jaurès notamment) et se consacre aussi désormais à la statuaire publique en France.
Qu'est-ce qu'une « justice d'exception » dans une région accusée du crime de « lèse-nation » ? Après avoir dévoilé les pratiques répressives d'une République contestée par les armes en Vendée militaire et les difficultés de la pacification, Anne Rolland-Boulestreau se penche sur l'application du droit révolutionnaire en territoire insurgé.
Au printemps 1793, dans le département du Maine-et-Loire, se déploie une justice extraordinaire, bras armé d'une jeune République menacée par ce front intérieur. Punir et détruire les Vendéens participe alors de la guerre civile. Dénonciations des suspects, réclamations des familles, nominations des administrateurs ou rapports des geôliers, l'historienne révèle, à partir d'une matière unique, les effets de la guerre civile sur l'exercice répressif de la justice. Et éclaire notre connaissance d'un conflit fratricide dont les stigmates sont encore visibles aujourd'hui.
Professeur d'histoire moderne à l'Université catholique de l'Ouest (Angers), ANNE ROLLAND-BOULESTREAU est spécialiste de la période révolutionnaire. Elle a notamment publié Les colonnes infernales. Violences et guerre civile en Vendée militaire (1794-1795) (Fayard, 2015) et Guerre et paix en Vendée (1794-1796) (Fayard, 2019).
Chacun peut éprouver le vent, sa présence, sa force, son influence. Parfois il crie et rugit, parfois il soupire ou caresse. Certains vents glacent, d'autres étouffent. Si l'homme a depuis l'Antiquité témoigné de cette expérience, il s'est longtemps heurté au mystère de ce flux invisible, continu, imprévisible. Le vent, aux traits immuables, échapperait-il à l'histoire ?
Il n'en est rien. Dans cet essai sensible, Alain Corbin nous guide au fil d'une quête initiée à la fin du xviiie siècle pour comprendre les mécanismes d'un élément longtemps indomptable. C'est le temps de nouvelles expériences du vent, vécues au sommet de la montagne, dans les déserts ou, pour la première fois, dans l'espace aérien. Se modifient alors les manières de l'imaginer, de le dire, de le rêver, inspirant les plus grands écrivains, à commencer par Victor Hugo.
Un champ immense se dessine aux yeux de l'historien ; d'autant que le vent est aussi, et peut-être avant tout, symbole du temps et de l'oubli.
Historien spécialiste du xixe siècle, Alain Corbin est mondialement reconnu pour son approche novatrice sur l'historicité des sens et du sensible, auxquels il a consacré de très nombreux ouvrages. Co-directeur d'une Histoire des émotions (Seuil, 2016, 2 vol.), il a récemment publié La fraîcheur de l'herbe (Fayard, 2018 ; Pluriel, 2019) et Terra incognita. Une histoire de l'ignorance (Albin Michel, 2020).
François Noël Babeuf (1760-1797) compte parmi les révolutionnaires de la première heure qui ont payé de leur vie leur engagement. Fondateur du Tribun du peuple, dans les colonnes duquel il défend la suppression de la propriété privée, celui qui prend le nom de Gracchus entre dans l'Histoire comme le premier à vouloir s'emparer du pouvoir pour réorganiser la société sur une base égalitaire. La Conjuration des Égaux doit y parvenir. Le Directoire ne s'y trompe pas, qui voit venir le danger pour le nouvel ordre politique. Arrêté, jugé, Babeuf est guillotiné le 27 mai 1797.
Métaphore du martyr, fondateur du communisme politique, continuateur de la Révolution, les multiples facettes de cette figure révolutionnaire nourrissent, aujourd'hui encore, légendes et controverses. Mais avant d'être un mythe, Babeuf fut un homme, auquel Jean-Marc Schiappa redonne son épaisseur historique.
Jean-Marc Schiappa est historien, président de l'Institut de recherches et d'études de la libre pensée. Spécialiste de la Révolution française et de Gracchus Babeuf, il est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la laïcité, au mouvement ouvrier et à la Révolution française, dont Buonarroti, l'inoxydable (Éditions libertaires, 2007), Gracchus Babeuf, pour le bonheur commun (Spartacus, 2015) ou plus récemment La Révolution expliquée à Marianne (Éditions François Bourin, 2019).
Isabeau de Bavière. Longtemps, la simple évocation de son nom a suscité un déchaînement de violences. Ses détracteurs l'accusent, après son mariage avec le roi fou Charles VI, d'avoir livré la France aux Anglais par le traité de Troyes en 1420. Mauvaise épouse, mauvaise mère, mauvaise reine, ils en ont fait une anti-Jeanne d'Arc.
Christine Rérat-Maintigneux a tiré le fil de la sinistre réputation d'Isabeau. Apparue plus de cent ans après sa mort sous la plume vindicative de certains historiens, elle perdure avec force jusqu'au xxe siècle. Manuels scolaires, oeuvres littéraires, artistiques ou de propagande... cette exécration, si elle a permis de sauver l'honneur des Valois et de la France dans le récit national, a parallèlement entretenu des imaginaires qui en disent long sur leurs époques.
Christine Rérat-Maintigneux est titulaire d'une maîtrise d'histoire contemporaine complétée d'une formation en histoire de l'art. Elle est passionnée par les épisodes et personnages de notre histoire qui ont façonné les Français tout autant que nourri des artistes. Elle s'intéresse aussi à la place que les femmes occupent dans cette architecture politique, sensible et symbolique.
Pendant 99 % de l'histoire de l'humanité, l'homme a été chasseur, pêcheur et cueilleur. Il y a douze mille ans seulement, les humains, au nombre de quelques centaines de milliers, nomadisaient par petits groupes. Aujourd'hui, sept et bientôt neuf milliards d'humains, presque tous sédentaires, peuplent la terre. Leurs sociétés sont très inégalitaires, puisque environ 1 % d'entre eux possèdent la moitié de la richesse mondiale.
Comment en est-on arrivé là ? Que s'est-il passé pendant ces dix millénaires trop souvent absents de notre culture générale et médiatique ? Une invention décisive, en plusieurs endroits du globe : celle de l'agriculture et de l'élevage. Grâce à elle, la population humaine va s'accroître rapidement, prendre le contrôle de la planète et éliminer un grand nombre d'espèces biologiques. L'expansion démographique continue débouche sur la création des premières villes, des premiers États et, finalement, de l'écriture et de l'histoire...
Cette « révolution néolithique » a vu se mettre en place des pratiques qui ont toujours cours aujourd'hui : le travail, la guerre ou encore la religion. Jean-Paul Demoule les explore avec la hauteur de vue de l'archéologue et la passion de transmettre. Il bouscule notre vision de la préhistoire et notre rapport au monde tel qu'il est, ou tel qu'il pourrait être.
Ils ont été sidérés par la présence de l'arbre, saisis par le jeu des temporalités de ce passeur entre le monde chtonien et le monde ouranien. Ils ont éprouvé l'admiration, mais aussi l'horreur, inspirés par ce végétal souverain. Presque tous ont guetté, écouté, la parole de l'arbre. Certains ont espéré profiter de ses messages, en faire leur mentor, engager un dialogue avec lui. D'autres, plus rares lui ont déclaré leur amour. L'objet de ce livre est de suivre depuis l'Antiquité gréco-romaine ceux qui ont su « voir l'arbre » : Horace et Virgile, mais aussi Ronsard et La Fontaine. Par la suite, Rousseau, Goethe, Novalis et, en France, Chateaubriand, Senancour, Maurice de Guérin, avant Verhaeren, Proust, Francis Ponge et Yves Bonnefoy. Bien entendu, il y eut aussi des peintres. Autant de sensations et d'émotions qui ont suscité des pratiques : s'étendre sous les ombrages, s'y délasser, y méditer, s'enfouir dans le végétal, s'y réfugier, y grimper constituent autant de comportements répondant à des pulsions profondes. À l'époque contemporaine, certains ont tenté d'incruster leur corps dans l'écorce, en espérant que le végétal ferait croître l'empreinte. À l'extrême, des moribonds ont souhaité que leur ADN soit transmis à l'arbre planté sur leur tombe. On le voit, c'est à une longue promenade que ce livre invite, à la rencontre de l'arbre champêtre, de l'arbre haie, de l'arbre isolé et sauvage comme de l'arbre domestique. Il s'agit ici de l'histoire des émotions éprouvées par des individus qui, au fil des siècles, possédaient la rhétorique pour les dire.
D'un côté, bon nombre de Français voient l'apprentissage comme un phénomène relevant du passé. De l'autre, la politique publique récente vise le cap d'un million d'apprentis ; elle mise sur l'alternance, puissant levier d'emploi et d'insertion, voire de croissance. Pour comprendre chaque position, il faut jeter un regard sur la longue durée, de Colbert à nos jours.
L'apprentissage est d'abord l'histoire de milliers de familles humbles : comment elles négocient l'entrée de leurs enfants dans le monde du travail et comment ces derniers s'y adaptent, apprennent, luttent, s'en sortent. De son essor au XVIIIe siècle, sous-tendu par le corporatisme, à sa perte de vitesse au XIXe, alors qu'il est attaqué par l'idéologie libérale fondée sur le laisser-faire, puis ses transformations à l'aube du XXe siècle, l'apprentissage déborde le seul champ de la formation professionnelle et de la socialisation des jeunes. Tel un « fait social total », c'est à la fois une idée et une pratique qui touchent une multitude de personnes, mais aussi des points sensibles dans le fonctionnement de la société, la marche de l'économie, les intérêts de l'État, la culture politique, l'élaboration de normes sociales et morales, l'évolution des représentations de l'enfance et de l'adolescence. L'apprentissage cristallise ainsi la vive tension entre liberté et régulation.
Dans cet essai majeur, d'une plume brillante, Steven L. Kaplan poursuit le travail au coeur de tous ses livres, de La Fin des corporations à Raisonner sur les blés, sur le fondement des sociétés humaines.
STEVEN L. KAPLAN est professeur émérite à l'université de Cornell (New York). Américain et français, spécialiste de l'histoire sociale, il travaille depuis toujours sur l'Ancien Régime et la Révolution française, et plus récemment sur le XXe siècle. Il a beaucoup écrit sur les subsistances, notamment le pain, et sur le monde du travail. Il a publié chez Fayard Les Ventres de Paris (1988), Adieu 89 (1993), Le Meilleur Pain du monde (1996), La Fin des corporations (2006), Le Pain maudit (2008), Raisonner sur les blés (2017) et Pour le pain (2020).
Jean Sévillia, Les vérités cachées de la guerre d'Algérie
Plus d'un demi-siècle après l'indépendance de l'Algérie, est-il possible de raconter sans manichéisme et sans oeillères la guerre au terme de laquelle un territoire ayant vécu cent trente ans sous le drapeau français est devenu un État souverain ? La conquête et la colonisation au xixe siècle, le statut des différentes communautés au xxe siècle, le terrible conflit qui ensanglanta l'Algérie et parfois la métropole de 1954 à 1962, tout est matière, aujourd'hui, aux idées toutes faites et aux jugements réducteurs.
Avec ce livre, Jean Sévillia affronte cette histoire telle qu'elle fut : celle d'une déchirure dramatique où aucun camp n'a eu le monopole de l'innocence ou de la culpabilité, et où Français et Algériens ont tous perdu quelque chose, même s'ils l'ignorent ou le nient.
Journaliste, essayiste et historien, auteur de nombreux ouvrages qui ont été des succès de librairie (Zita impératrice courage, Le Terrorisme intellectuel, Historiquement correct, Historiquement incorrect, Histoire passionnée de la France), Jean Sévillia est chroniqueur au Figaro Magazine et membre du conseil scientifique du Figaro Histoire.
Le vert aurait une vertu apaisante. Et à voir les balcons et les toits de nos immeubles, les trottoirs de nos villes, les citadins d'aujourd'hui tentent d'en tirer leçon. La verdure reprend ses droits, comme pour répondre à un désir, comme pour retrouver des émotions perdues.
Nombreux sont ceux qui célébrèrent ce pouvoir sensible de l'herbe. De Lucrèce à Pétrarque, de Ronsard à George Sand, de Lamartine à René Char, Alain Corbin dresse un portrait de ces hommages rendus à l'herbe dans tous ses états, en brin ou en touffe, mauvaise ou folle. Et l'on renoue alors avec des sensations familières : la joie de l'enfant se roulant dans l'herbe, l'invitation au repos après un déjeuner sur l'herbe, les odeurs de foin coupé, le bourdonnement du petit monde des prés, mais aussi l'érotisme d'un lit d'herbe, jusqu'à la paix provoquée par l'herbe disciplinée des cimetières.
Au gré des citations qu'il éclaire de son regard d'historien, Alain Corbin nous convie à une promenade sensible et verdoyante.
Historien spécialiste du xixe siècle en France, Alain Corbin est reconnu internationalement pour son approche novatrice sur l'historicité des sens et du sensible, auxquels il a consacré de très nombreux ouvrages. Auteur des Filles de rêve (Fayard, 2014) et de La Douceur de l'ombre (Fayard, 2016), il a récemment dirigé l'Histoire des émotions (Seuil, 2016, 2 vol.).
Il y a un siècle, ceux qui savaient lire savaient aussi se situer dans l'espace et dans le temps. Il n'en est plus ainsi. Les Français, et d'ailleurs tous les Occidentaux, sont devenus, pour la plupart, des hommes sans passé, des « immémorants ». Par un paradoxe ironique, on n'a jamais autant parlé du « devoir de mémoire » qu'en ces temps d'oubli, car il est bien connu que l'on insiste sur une qualité seulement quand elle est oubliée. Ajoutez à cela un mépris boursier du long terme et le culte de l' « immédiateté », et vous comprendrez que notre modernité fabrique davantage de consommateurs-zappeurs interchangeables et de « fils de pub » que de citoyens responsables, désireux de comprendre et de construire.
Est-il possible de déchiffrer l'actualité sans références historiques, les événements les plus actuels s'enracinant toujours dans le long terme ? Comment situer par exemple les guerres d'Irak sans avoir entendu parler de la Mésopotamie ? Les images nous choquent sans nous concerner. On voit tout, tout de suite, en direct, mais on ne comprend rien.
D'où l'idée simple, ambitieuse et modeste à la fois, d'écrire un livre assez court qui soit un récit de l'histoire du monde, mais fermement chronologique pour tous les lecteurs qui souhaitent « s'y retrouver » et situer leur destin personnel dans la grande histoire collective, héroïque et tragique, absurde ou pleine de sens, de l'espèce humaine.
Voici donc un résumé de l'histoire de l'humanité ; rudimentaire, mais plein de rapprochements surprenants et de questions impertinentes ; conte vrai où le lecteur pourra trouver des interprétations de faits qui ne sont pas discutables. Il est destiné à tous, à l'exception des historiens de métier.
En Europe et dans les Amériques, le XIXe siècle a longtemps été défini comme l'époque de la « modernité », quand le rêve du progrès se mêlait à l'idée de révolution, et le désir de nouveauté à l'angoisse de l'accélération. Mais qu'en est-il lorsque, abandonnant l'étalon de l'Occident et optant pour l'échelle du monde, on change de point de vue ?
Ce livre, « monstrueux et discordant », pour reprendre les mots par lesquels Michelet désignait sa propre Histoire du XIXe siècle, veut faire entendre les voix d'un passé pluriel. Car le monde est avant tout l'objet d'expériences contrastées pour ceux qui y vivent, et auxquelles cette somme convie le lecteur.
Elle le guide à travers les circulations de cette ère nouvelle, des migrations à l'expansion coloniale, conséquences des mutations rapides des transports, de l'industrie ou des sciences. Et à y regarder de près, on s'aperçoit que la mondialisation ne fut pas un processus univoque d'occidentalisation.
Elle le conduit au fil des « temps du monde » scandés par des événements qui résonnèrent à l'échelle globale, de l'indépendance d'Haïti (1804) à la révolution chinoise (1911), de l'épidémie de choléra (1817) à la révolte des cipayes (1857).
Elle l'entraîne au coeur d'un « magasin du monde » qu'approvisionnent bibelots, cartes, tatouages, fez, ivoire, opium, dévoilant des processus historiques qui affectent le monde entier, tout en installant le lointain dans l'intime et le quotidien.
Elle le transporte dans les « provinces du monde » indienne, sud-américaine, ottomane, européenne, etc. , ces laboratoires qui permettent de décentrer notre regard, et révèlent tout autant la grande diversité de la planète que l'existence de « modernités » alternatives.
Attestant à la fois les dynamiques d'intégration mondiale et une exacerbation des identités, cette Histoire du monde au XIXe siècle, qui réunit les contributions de près de cent historiennes et historiens, nous laisse une certitude : celle d'être alors devenus, ensemble, et pour la première fois, contemporains.
À l'été 1940, des millions de Français se mettent à écrire, à leurs maires, sous-préfets et préfets, mais aussi à des organismes internationaux et jusqu'au pape, pour savoir ce que sont devenus leur père, leur époux, leurs enfants. En six semaines à peine, entre le 13 mai et le 22 juin 1940, la défaite militaire se transforme en débâcle et la captivité concerne désormais presque deux millions de soldats détenus par les Allemands en territoire français. Captivité transitoire, première étape d'un emprisonnement long, parfois douloureux, dans le Reich, captivité fondatrice aussi et mémoire oubliée de la Seconde Guerre mondiale.
Au nord de la Loire comme le long de l'Atlantique, la France se couvre de camps de prisonniers, les Frontstalags. Véritable défi logistique, social et politique, la captivité devient un enjeu central, pour les familles qui attendent, pour le régime de Vichy qui cherche à affirmer sa souveraineté comme pour les autorités allemandes qui imposent leur ordre de vainqueur, mais aussi pour les instances internationales, du Comité international de la Croix-Rouge à l'ambassade des États-Unis, en passant par le Vatican.
Donner à voir, faire ressentir, amener à comprendre ce qu'a été une captivité française en France, celle de 1940 : tel est l'objectif de cet ouvrage collectif qui varie les échelles et les points de vue pour proposer une histoire au carrefour de la défaite, de l'Occupation et de la Collaboration - un essai qui, à partir d'archives françaises et étrangères ainsi que de nombreux documents iconographiques, mêle relations internationales et quotidien à hauteur d'homme.
Comment imaginer un plus beau destin de chevalier ? Guillaume est un homme nouveau issu d'un modeste lignage. Il est né au milieu du xiie siècle sous le règne d'Etienne de Blois, petit-fils de Guillaume le Conquérant. Champion de tournois jusqu'à quarante ans, il a servi fidèlement les Plantagenêt : Henri II, son fils aîné Henri le Jeune, et les cadets Richard Coeur de Lion, Jean Sans Terre. En récompense, on lui a donné pour femme l'un des plus beaux partis d'Angleterre. A la guerre, il a combattu Philippe-Auguste et c'est à soixante-treize ans, comme Régent d'Angleterre du jeune Henri III, qu'il a remporté contre le futur Louis VIII la bataille de Lincoln, en 1217, qui obligea les Français à conclure la paix et à évacuer l'Angleterre. Apprenant la mort de Guillaume dans la tradition des Croisés, Philippe-Auguste et ses Barons le proclamèrent : « le meilleur des chevaliers ».
A travers l'irrésistible ascension de Guillaume Le Maré-chal, Georges Duby reconstitue, dans l'un de ses plus beaux récits, le théâtre de la chevalerie. Il nous fait les spectateurs privilégiés de l'art du tournoi, des rites de la guerre, et les compagnons de cette société d'hommes rudes et généreux qui rivalisent de prouesse, de largesse et de loyauté.
Georges Duby était professeur au Collège de France. Il a été en France le meilleur analyste des trois ordres de la société médiévale. Auteur du Temps des Cathédrales et de L'Europe au Moyen Age, il a su faire découvrir à un large public les réalités et les rêves du monde féodal.
Écrivain et journaliste, fou d'histoire depuis toujours, lecteur passionné de tous les grands historiens, François Reynaert souhaitait en découdre avec les clichés nationalistes. La répétition ad nauseam des truismes patriotards relayés par des essayistes réactionnaires commençaient à lui porter sur les nerfs. Aujourd'hui, il passe à la contre-offensive. Non pas avec un essai distancié, ni un bêtisier, mais avec une véritable Histoire de France. - Une Histoire de France complète et très accessible qui suit l'ordonnancement traditionnel (les Gaulois, les Francs, le Moyen Âge...) et répond aux questions simples : Que faut-il retenir de telle période, de tel roi ? Que se passe-t-il en Europe au même moment ? Elle est enrichie de cartes et de repères chronologiques. - Une Histoire de France décapante et pleine de surprises. La mythologie nationale est relue à la lueur du travail des plus grands historiens. Les guerres, les conquêtes, les héros obligés, Vercingétorix, Jeanne d'Arc ou Napoléon... rien ni personne n'est oublié, mais tout est revu et corrigé. - Une Histoire de France pour le XXIème siècle. Généreuse, citoyenne, européenne, donnant sa juste place au rôle des femmes et des minorités ; elle est adaptée à notre temps. Pour tordre le coup à une mythologie parfois encombrante, mais surtout pour aiguiser notre esprit critique.
Rien, à dire vrai, ne me prédisposait à m'attacher à l'histoire de l'émancipation des Juifs sous la Révolution. Jusqu'au jour où, suivant pas à pas Condorcet, je rencontrai une délégation de Juifs, conduite par Maître Godard, venant demander en janvier 1790 à la Commune de Paris de soutenir leur cause auprès de l'Assemblée nationale. Il y avait donc eu sous la Révolution, au sujet de la citoyenneté des Juifs, discussion, résistance et bataille politique.
Cet événement, si lourd de portée dans l'histoire des Juifs de France et d'Europe, a bien peu compté dans la Révolution. Pourtant, à l'analyser de près, il se révèle chargé de signification. Car l'émancipation, à la veille de 1789, si elle était presque acquise pour les Juifs du Sud-Ouest, n'était rien moins que certaine pour les autres.
La raison politique commandait de différer leur émancipation, ou du moins de l'accomplir progressivement en fonction de leur assimilation. Mais cette démarche prudente était inconciliable avec les principes des droits de l'homme que les Constituants avaient proclamés. Refuser aux Juifs le droit d'être des citoyens comme les autres, aux mêmes conditions que les autres, c'était leur dénier la qualité d'hommes comme les autres, et renier la Révolution elle-même. Ainsi l'émancipation des Juifs apparaît en définitive comme une victoire de l'idéologie sur le pragmatisme, de la force des principes sur la force des choses.
R.B.
Anne de Bretagne, Catherine de Médicis, Marie-Thérèse d'Autriche, toutes ont été mères et ont marqué l'histoire. Le poids de la maternité a façonné le destin de ces femmes dont la monarchie attendait qu'elles fournissent au royaume des héritiers. Et pourtant, que sait-on vraiment des relations que ces reines entretiennent avec leurs enfants ? Quels bénéfices tirent-elles de la naissance d'un prince ? Comment s'exerce l'autorité maternelle sur une progéniture élevée loin de la cour ?
Au fil de ces portraits croisés, Fanny Cosandey retrace les étapes qui transforment ces princesses de maisons souveraines en mères. Alliances, naissances, décès, éducation et vie de cour tissent la trame d'une histoire où les conditions d'existence des parents avec leurs enfants suivent l'évolution de la monarchie, jusqu'à dessiner le tableau d'une famille royale marquée par les impératifs étatiques.
En pleine Belle Époque, Messaoud Djebari parvient à faire la une des journaux parisiens, et devient pour un temps l'Algérien le plus célèbre du monde. Revenu du Dahomey et du Nigéria, il aurait rencontré des survivants français d'une mission disparue. Mais son histoire soulève nombre de questions. Explorateur, interprète, militant, serait-il un menteur ?
Dans une enquête à la première personne, menée au fil de ses découvertes dans les archives, Arthur Asseraf retrace le destin de cet homme passé maître dans l'art de désinformer. Algérien au service de la France, Maghrébin en Afrique de l'Ouest, colonisé et impérialiste, ni résistant ni complice, l'énigmatique Djebari sème le doute dans l'esprit de l'historien. Et interroge sur la production de la vérité, au temps de la colonisation comme aujourd'hui.
Arthur Asseraf est maître de conférences en histoire de la France et du monde francophone à l'université de Cambridge et fellow de Pembroke College. Ses travaux portent sur l'histoire des médias et de l'information au Maghreb et en Méditerranée contemporaine. Il est notamment l'auteur de Electric News in Colonial Algeria (Oxford University Press, 2019).