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Littérature
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Extrait
TRADUIRE UNE OEUVRE POÉTIQUE
Traduire une oeuvre poétique, c’est la soumettre à une extrême violence.
C’est la déplacer d’un lieu à un autre. De son lieu natal à un autre, qui lui est étranger. Mais ce qu’ici nous nommons « lieu » ne concerne pas avant tout le pays, la culture, la pensée d’un peuple ou d’un homme, ni même la spécificité linguistique telle que la grammaire propre à chaque langue en rend compte. Le lieu, c’est la langue elle-même, la langue entendue dans son sens le plus pur.
Car la poésie n’est jamais la mise en forme d’une idée, une façon plus sensible ou plus signifiante de dire ce qui pourrait se dire autrement, la « valeur ajoutée » d’un langage commun à tous. Elle est l’essence même d’une langue, sa présence en nous la plus proche et la plus insolite. La poésie est au langage ce que la source est à toutes les eaux qui en sortent : la provenance désertée de toute langue courante. Ce n’est qu’à partir d’elle que la langue étincelle, fait signe vers le pur éclat de toutes choses dont nos mots quotidiens, dans leur usage auxiliaire, ne sont que l’appauvrissement, la disparition. Il n’y a pas l’idée, la signification, le sens, puis la poésie qui, à la manière d’un vernis sur un bois déteint, ferait briller le sens ; mais la poésie porte en elle-même son propre sens. Et ce sens est musique essentielle de la langue, parole où se déploie l’être de toutes choses. Traduire une oeuvre poétique, c’est donc, littéralement, la déraciner. Davantage : c’est abolir ce qui la fonde. C’est la priver d’elle-même. Toute traduction des Élégies et Sonnets de Rilke, quelle qu’elle soit, exclut par conséquent l’essentiel, à savoir le rapport à la langue allemande.
Ainsi, tout poème traduit, tout poème qu’on a changé de monde, n’est pas seulement en exil mais en péril : en péril de ne plus pouvoir être entendu comme ce qu’il est. Un tel péril ne se surmonte pas. Cependant, loin de réduire la traduction à un acte sans importance, où tout se vaut puisque l’essentiel est perdu, il exige au contraire de celui qui s’y risque un souci constant. En quelque sorte, l’acte de traduire exige d’être pensé à la mesure du péril qu’il engendre.
On se souvient de la façon dont Baudelaire définissait ses traductions d’Edgar Poe. Ce sont, disait-il, des « belles infidèles ». Baudelaire, sans doute, n’affirmait pas seulement une façon personnelle d’envisager la traduction (une façon parmi d’autres) mais, parlant en poète, il disait la nécessité d’une telle infidélité. Entendons bien « infidélité nécessaire » : la traduction d’un poème n’est jamais avant tout la translation d’une grammaire à une autre. Cette translation grammaticale, qu’on tient généralement pour la seule fidélité qui soit, où conduit-elle, sinon à l’évanouissement de la « musique » du poème, assourdie jusqu’à l’absence, c’est-à-dire, puisque musique et sens se portent ici réciproquement, jusqu’à l’incohérence ? À l’inverse, cette infidélité dont parle le poète n’estelle pas, si on médite ce que veut dire « belles infidèles », le souci et l’affirmation d’une fidélité plus haute et plus essentielle que la grammaire, d’une fidélité d’ordre poétique, telle que seule elle permet au sens d’apparaître – d’apparaître en une musique ? Mes traductions, semble dire Baudelaire, doivent apparaître au lecteur français comme à l’aube de leur propre jour, ayant seulement pour lui leur visage de poèmes, ce visage étant aussi bien un visage dont il n’a rien su : leur visage de « belles infidèles ». En traduisant Élégies et Sonnets, je n’ai pas eu d’autre souci : offrir au lecteur français les poèmes français de ces poèmes allemands.
J'ai dû renoncer à éclairer ce travail d'aucune lumière satisfaisante. Il eût fallu justifier chaque vers, indiquer les raisons qui m’ont conduit à choisir tel mot plutôt que tel autre, retracer – comment ? – les mouvements intérieurs, tantôt sinueux tantôt immédiats mais toujours, en quelque façon, si peu transparents à soi-même, dont chaque poème dans sa forme présente est issu. Et quand même j’aurais patiemment cherché à établir un inventaire de mes réflexions, cette traduction en eût-elle été enrichie, ou rendue plus lisible ou plus indiscutable ? La poésie ignore la preuve. Elle porte en elle sa vérité, que tout autre éclairage, quels que soient sa valeur et son intérêt propres, n’atteint pas.
Une fois cependant, il m’a semblé nécessaire de préciser ma traduction d’un mot, parce que ce mot marque sans doute la nature singulière du poète. Il s’agit du mot Ohr que j’ai traduit par écoute, et, au second vers du premier sonnet, par en nous-mêmes :
« Là s’élevait un arbre. O pure élévation !
Le chant d’Orphée ! O quel arbre en nous-mêmes ! »
Les premiers vers des Sonnets à Orphée sont la réminiscence, elle-même fulgurante, d’un éclair souverain. Il est midi à l’intérieur de l’homme. Midi dont le poète, à la faveur d’une apparition, retrouve la transcendance au sein même du langage, et dont il marque aussitôt l’oubli en un retrait aussi soudain que l’apparition initiale : « Et tout s’est tu ». De ce midi des origines, quelque part en Grèce, à notre nuit d’hiver, la distance ne se mesure pas. Retrouver Orphée serait vain. Davantage : ce serait s’interdire de chanter de nouveau. Pour un jour habiter, c’est en soi-même qu’il faut bâtir. En endurant l’absence de ce « dieu perdu » (I, 26 ), le poète appelle un point d’or que nous ne voyons pas, et qui cependant, par sa voix, vient sur nous : « une autre aurore, signe et tournant ». Car ce premier poème ouvre en étoile tout l’espace des Sonnets, et secrètement trace leur mouvement interne : le cercle, « qui ne se ferme nulle part » (II, 20). Ainsi le mot Gesang (chant) et le mot Ohr ne cessent de se répondre en une secrète alliance. Ohr, ce n’est ni l’oreille ni l’ouïe, mais bien l’écoute comme ouverture de l’homme à son être propre : le chant. Et le poète est l’homme qui peut dire de lui-même : ich bin ganz Ohr : je suis tout écoute.
Si toute traduction détruit nécessairement la pureté de son objet, elle exige de celui qui l’entreprend qu’il soit, avant toute chose, à l’écoute de sa propre langue, ouvert à son lieu natal. Tendre à son tour vers un objet pur est peut-être la seule façon de sauver, dans le chant d’origine, ce qu’il y a à sauver : la trace de son pur sillage. -
SOMMAIRE
Scène 1
Scène 2
Scène 3
Scène 4
Scène 5
Scène 6
Scène 7
Scène 8
Scène 9
Scène 10
Scène 11
Scène 12
Scène 13
Scène 14
Scène 15 -
Préface
Pièce en trois actes créée au Studio-Théâtre de la Comédie française le 17 janvier 2001
Mise en scène d’Anne-André Reille
Avec Jean-Pierre Michaël (Mô, le père) Michel Robin (le Gna) Florence Viala ( Melle, la mère)
Le jeune homme, tantôt Mô (le fils) casquette à l'envers, tantôt le père sans casquette en blouse de médecin, stéthoscope autour du cou.
La jeune fille, parfois Melle (la fille) casquette à l'envers, parfois la mère, une perruque sur la tête et un fer à repasser à la main.
Le Gna (un homme, plus âgé)
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Préface
Janvier 2001
Miles Davis. Son parcours artistique s’inscrit en lettres lumineuses dans l’histoire contemporaine du jazz, c’est une référence incontournable pour les amateurs de musique. Mais sa vie aussi tumultueuse et chaotique ne peut se départir de son oeuvre. Ce n’est pas par hasard que Louis Amstrong a comparé sa démarche à celle de Picasso.
Miles est un phare, une légende.
Il était difficile de ne pas tomber dans le piège d’une biographie reconstituée en écrivant pour le théâtre. J’ai souhaité simplement dans cette évocation de la vie de Miles Davis, imaginer les rapports d’amitié avec son arrangeur, Gil Evans, dont chaque création commune durant leur collaboration a marqué un tournant décisif dans l’évolution artistique du célèbre trompettiste. Je me suis donc limité aux étapes marquantes de cette relation privilégiée. Des thèmes m’ont guidé : Bird (Charlie Parker), le Birdland, la drogue, le racisme américain de cette époque, la solitude etc. Il reste néanmoins que Miles est une oeuvre de fiction inspiré de la vie de Miles Davis.
La mise en scène sera essentiellement orientée sur les rapports psychologiques de ces deux personnages (Miles et Gil) si différents et complémentaires, à la fois, où jamais l’humour (cette culture de l’esprit) n’est absent dans leurs relations.
Un décor simple, presque intemporel. Présence d’un piano.
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Table des matières
Première partie : Histoire de philosopher… sur la corrida
1. De la conversion taurine
2. Plasticité et vécu
3. La corrida ou le théâtre de la cruauté
4. Esthétique taurine et critique de la représentativité
5. Du respect
6. L’incarnation des idées
7. Catharsis et tauromachie
8. Jouissance savante et plaisir universel dans l’aficion
9. La sagesse taurine
Deuxième partie : Histoire d’Yves et Julie
1. Des bons moments
2. La naturelle de face
3. L’ivresse taurine
4. Le sacré dans la corrida
5. Flamenco et corrida
6. De l’émotion dans la corrida
7. La lidia, c’est du sexe et plus que du sexe
8. Yves et Julie se séparent
9. Le moment de vérité
Troisième partie : Le baiser du toro
1. Du voile et de la muleta
2. Le devoir d’immoralité (la littérature, la tauromachie et le mal)
3. Du « mysterium tremendum » et de la confession des péchés
4. Pour ou contre la corrida
5. L’alcool et la corrida
6. La tauromachie est-elle de l’art ?
7. De la relativité des choses et du sublime
8. « Qu’un bon torero n’est pas forcément un artiste », lettre du narrateur à son lecteur
9. Le premier baiser, lettre du narrateur à Édouard
En guise de conclusion : L’accouplement de l’homme et de la bête
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Extrait
Préface
Avant d’entraîner le lecteur sur ce petit parcours à neuf trous, j’aimerais, depuis les marches du club-house, dire quel - ques mots à propos des critiques dont fut l’objet mon précédent livre d’histoires de golf, The Clicking of Cuthbert. en premier lieu, j’ai constaté avec regret que bien des écrivains avaient une certaine propension à considérer le golf comme un sujet trivial, indigne de la plume d’un authentique moraliste. sur ce point, il me suffira de faire valoir que, depuis l’origine, les esprits les plus brillants se sont intéressés à ce noble sport et qu’en conséquence, si je m’égare, c’est en excellente compagnie.
Si l’on fait abstraction des ouvrages d’auteurs comme James Braid, John Henry Taylor et Horace Hutchinson, nous nous apercevons que Publius syrus ne dédaignait pas donner des conseils sur le backswing (« Il arrive en retard celui qui part trop vite ») ; que diogène, déjà, décrivait la gaîté d’un jovial joueur sur l’obstacle d’eau (« Sois en joie. La terre est en vue ») ; et que, observant un de ses drives quitter le tee, le docteur Watts notait le couplet suivant au dos de sa carte de score :
« Vole comme un jeune cerf, comme un chevreuil Au-dessus des collines où poussent les épices. »
Si nous remarquons ensuite que Chaucer, le père de la poésie anglaise, inséra dans le Conte de l’Écuyer le vers suivant :
« Alors lui fut attribuée une très longue cuillère »
(sans perdre de vue que, de nos jours, avec une balle au coeur de caoutchouc, un fer permet de couvrir la même distance), et que Shakespeare lui-même, se mettant à la place d’un joueur médiocre qui ralentit un foursome rongeant son frein, déclara d’un ton plaintif :
« Quatre voleurs vêtus de bougran se dirigèrent vers moi »
nous pouvons, à ce stade, considérer que nous avons répondu à ces objecteurs.
J’ai une doléance plus sérieuse à formuler envers mes critiques : la plupart ont confessé n’avoir qu’une connaissance très médiocre du golf et l’un d’eux a même osé laisser imprimer qu’il ne savait pas ce qu’était un niblick ! Celui qui écrit sur ce sport a tout à fait le droit d’être jugé par ses pairs – ce qui signifie, dans mon cas, par des hommes qui font un bon drive une fois sur six, quatre approches correctes sur un parcours de dix-huit trous, et trois putts en moyenne sur le green. En retour, je pense donc légitime d’exiger des rédacteurs en chef qu’ils ordonnent aux critiques du présent ouvrage d’indiquer, après leurs commentaires, leur handicap entre parenthèses. les lecteurs pourraient ainsi se faire une idée plus juste de la valeur de ce livre, et des piques comme « nous avons ri de bon coeur en lisant ces histoires – une seule fois – du fait d’une erreur d’impression » seraient sensiblement érodées par le chiffre (36) placé à la fin du paragraphe. alors que ma jubilation serait à son comble si les mots « un authentique chef-d’oeuvre » étaient suivis par un simple (scr.). Un dernier mot. le lecteur attentif, qui comparera ce livre avec The Clicking of Cuthbert, sera sans aucun doute frappé par la poignante profondeur des sentiments qui imprègne le présent ouvrage, comme l’odeur des chaussures crottées un vestiaire. et peut-être conclura-t-il qu’à la suite de tant d’écrivains anglais, je suis tombé sous le charme des grands auteurs russes.
Il n’en est rien. Même s’il est tout à fait exact que mon style doit beaucoup à dostoïevski, ce qui rend des histoires comme Rollo Podmarsh se révèle et Il faut ménager Vosper si émouvantes tient entièrement au fait que j’ai passé, récemment, beaucoup de temps sur le parcours national de Southampton, Long Island, U.S.A. Ce golf a été construit par un Écossais en exil qui a eu la détestable idée de réunir sur un même parcours tous les trous les plus vicieux de Grande-Bretagne. Aussi un individu est-il marqué à vie lorsque, après avoir traversé de haute lutte le Sahara du parcours de sandwich et les Alpes de celui de Prestwick, il se trouvera en face du trou du Jardin du Chef de gare à saint-andrews, en sachant que le Redan et l’Éden l’attendent au tournant. Qui réalise alors un score de 108 deux jours consécutifs commence vraiment à savoir quel - que chose de la vie.
Il est possible, cependant, de trouver quelques rayons de soleil ici et là dans ce livre. Si tel est le cas, ils tiennent au fait que certaines de ces nouvelles furent écrites avant mon arrivée à Southampton et juste après mon premier et unique trophée – un parapluie gagné lors du tournoi organisé par un hôtel à Aiken, en Caroline du Sud, où, en jouant avec un handicap de 16, j’ai balayé comme une tornade de feu un parcours où s’étaient réunis quelques-uns des plus ventripotents hommes d’affaire à la retraite d’Amérique. Si nous devions perdre la coupe Walker cette année, que l’Angleterre sache s’en souvenir.
P. G. Wodehouse -
Extrait
La Haine, l’Oubli est le dernier roman d’une série de sept récits regroupés et publiés sous le titre L’Âge de l’oubli. L’ensemble se veut une description de la société occidentale moderne, certes centrée sur la suède, mais applicable à de nombreuses cultures. Quand La Haine, l’Oubli est paru, en 1995, il a provoqué un vif débat.
sous les traits d’Olof Palme, le Premier ministre assassiné, le personnage central nous donne sa vision personnelle des aléas de la politique et d’une fin tragique. c’est un messager vivant dans l’âge de l’oubli, âge où la mémoire des événements ne dépasse pas quelques heures. L’oubli est un état qui convient à merveille au pouvoir politique qui est lui-même étroitement mêlé au pouvoir éco nomique.
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Table des matières
PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE
TROISIÈME PARTIE
QUATRIÈME PARTIE
CINQUIÈME PARTIE
SIXIÈME PARTIE
SEPTIÈME PARTIE
HUITIÈME PARTIE
NEUVIÈME PARTIE
Glossaire
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Extrait
Le convoi s’arrêta le long du Rhin. Une agitation guerrière se déployait sur les rives comme sur l’eau où des embarcations rapides sillonnaient en tous sens, peuplant la surface fluide de groupes d’hommes affairés exécutant des gestes précis, rapides, techniques, tirant les câbles, mouillant des mines alors que des éléments de l’armée allemande (celle-là même avec laquelle on bataillait jadis dans la plaine) semblaient opérer une jonction efficace et amicale, prêtant main forte aux travaux en cours.
Les officiers donnèrent l’ordre de descendre et de se former en colonne de part et d’autre du train. Les hommes s’exécutèrent prestement. Fortépaulle sauta de la voiture, casqué, l’arme sur la poitrine, précédé, suivi, maillon d’une chaîne mouvante, trottant au pas de gymnastique, encouragé par un jeune sous-lieutenant qui piétinait le pas sportivement. Au-delà du train, Fortépaulle découvrit un pont qui prolongeait la voie ferrée jusqu’en Allemagne.
Le caporal-chef Fortépaulle fut affecté à la garde du pont de chemin de fer dont l’armée avait besoin pour permettre aux troupes de con - centration de traverser. Les jeux compliqués de l’histoire, de la politique et de la technologie avaient repoussé les frontières dangereuses très loin dans les plaines orientales.
L’ampleur du fleuve et son roulement gris bousculaient l’apathie. Trois sections prirent po - sition sur le pont, côté occi dental. Le sous-lieutenant sportif les commandait.
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Extrait
Au fond, il était digne de feu ses aïeux. Il leur ressemblait d’une manière frappante, jusque dans les moindres détails. Seulement, chez le pauvre oncle Ross, ce caractère héréditaire avait été modifié par des nuances ou autres arabesques de vie très peu sensibles, presque insaisissables, mais qui n’en avaient pas moins exercé sur sa destinée bourgeoise une influence implacable et terrible.
L’oncle Ross avait trente-six ans. Il avait l’air vieux. Ses cheveux étaient tout gris. Il portait un habit d’un gris un peu trop clair, d’une coupe impeccable, mais malheureusement un peu sale. Il avait une barbiche de bouc, une moustache (on portait de ces choses-là avant la guerre) et, dans l’ensemble, avait l’air négligé et peu appétissant. Pourtant, il ne manquait pas de charme. Cela provenait sans doute de son sourire doux, émouvant, un peu mélancolique. C’était un sourire doux et indulgent, pour ce monde qui tourne comme une toupie et pour ces hommes qui s’agitent et qui triment. Un sourire profond et infini. Mais la profondeur ne figurait pas au programme de la famille Ross. Aussi ce sourire fut-il taxé d’originalité, ce qui faisait dire à la famille :
– C’est tout Stefan ! Stefan est tout entier dans ce sourire.
L’oncle Stefan n’avait pas toujours eu trente-six ans ! Il n’avait pas toujours été oncle. Il n’avait pas toujours eu, non plus, ce sourire tendre, distant, si calmement énigmatique de maintenant qu’il est « le parasite » de la chambre familiale des Bar. Car c’est ainsi que l’appelait Maman, la Constantine Bar, née Ross, âgée de trente-neuf ans, épouse de M. Eugène Bar, celui-là même qui refusait de dormir dans la chambre familiale, bien qu’il fût le père de Josef, non moins que de Thinka et de Louise. Mais cela lui importait peu, car Père aimait son « gars » Josef – il l’aimait d’un amour presque timide.
L’oncle Ross, Stefan Ross, avait le malheur d’être le fils de ses père et grand-père. Cette circonstance l’obligea presque, moralement à dilapider et à anéantir les biens de la famille, établis par le grand-père, augmentés et consolidés par le père. Il assuma cette tâche, avec la collaboration d’Eugène Bar, le gendre incongru. Il l’assuma à fond. Il ne resta plus une seule pierre, il ne resta plus un mark vaillant. Ce fut évidemment très regrettable pour cette belle fortune. Mais c’est là une loi d’économie familiale : le père gagne, le fils conserve, le petit-fils gaspille. Un principe sain qui conduit au plaisir !
Quand l’oncle Ross, qui était pourtant assez doué, échoua pour la deuxième fois, à seize ans, aux examens de la Realschule, ce fut parce qu’il avait déjà la notion, comme tous ceux qui connaissent bien notre ordre social, que culture sans argent ne compte guère aux yeux de nos chers contemporains, mais que fortune, même sans instruction, est tout. -
Extrait
Je souffle sur la mousse, je souffle sur ma vie. Comme une langue de chat dans une tasse de thé, je fonds.
7 décembre 1999, 16h44. Plongé dans un nuage de bulles aux parfums délicats d’ambre et de vanille, mon esprit agité se perd. Mon corps, lui, se satine. Je passe en revue les détails du programme de la soirée. J’inspire en gonflant mon ventre d’air au maximum, j’expire lentement. Je cale les battements de mon coeur sur le rythme régulier de ma respiration, ainsi j’accueille le calme et la force dont je vais avoir besoin. Me détendre, me concentrer, je cherche à dissiper le trac qui m’a envahi et qui n’est pas loin de faire bouillir l’eau du bain dans lequel je trempe. Quelques minutes bénies de paix avant le coup d’envoi.
Vite, sortir de l’eau pour passer à l’action. D’un bond, me voilà debout. Un exploit. Le sol semble se dérober sous mes pieds. Un vertige incroyable me tient. -
Table des matières
Maelle :
Ce matin, après le cours de latin de 8 h à 10 h, je n’ai pas traîné en salle des profs ; un ciel étrangement limpide m’attirait vers la rue. J’ai remonté le boulevard saint-Michel, traversé le Luxembourg, trouvé un siège dans le coin que j’aime, entre les tennis et la rue Vavin. J’ai posé ma lourde serviette sur le sol, remis mes corrections à demain et laissé passer une bande de petits nuages ouatés, égarés dans l’azur. Je songe à Ovide en exil loin de rome. Je vais mieux. Le printemps peut-être. La fin des cours dans un mois, le jury d’agreg. dans six semaines et la toscane. Oui, je me sens mieux. répit ; oeuvre de mon thérapeute, ou la mienne. La nôtre, ce travail commun depuis quelques mois. c’est peu, je le sais. J’ai déjà épuisé trois analystes. Le premier, Blachère, était génialement intellectuel mais paternaliste donc incompatible, la seconde était honnête et prudente, mais je ne veux pas m’ouvrir à une femme. Le troisième enfin était trop beau, trop séduisant, trop sûr de lui ; cela m’agaçait profondément. J’ai arrêté brusquement et je n’allais pas plus mal, histoire de souffler, de passer à autre chose. J’ai bien compensé mes petits problèmes : aventures sans suite, dépenses hasardeuses, rencontres sans intérêt, pertes de temps (ce qui n’est pas prouvé), réactions violentes, colères soudaines (ça fait un bien fou).
Le troisième (le séducteur), ne supportait pas mon manque de docilité et me conseilla d’entreprendre une psychothérapie dans le fauteuil. Je l’ai quitté fâchée, déçue et triste. Je le remercie quand même au fond de moi d’avoir compris que je ne cherchais pas un maître à penser mais un psychologue attentif, modeste et coopérant. ce qu’est mon nouveau psy. Il est charmant, assez timide, peut paraître dépassé, surtout lorsque je le braque sur un problème de syntaxe, de signification, d’étymologie. alors il passe la main dans ses boucles brunes, tripote sa montre, cherche un stylo et son malaise m’enchante et me rassure. Il s’appelle Brad (il n’y a pas de plus beau prénom !), américain jouant très bien avec la langue française. Je rêverais de l’avoir comme élève. c’est un prénom qui coule très bien des lèvres, dur et langoureux à la fois. Bref ! je me souviens de mon premier rendez-vous. De ce qu’il a dit j’ai surtout retenu qu’il désirait que nous travaillions ensemble, pas à pas, que je devrai faire des objections, exprimer des refus, mes doutes, dire ce que j’attendais de ce travail, ce que je voulais et qu’il tenterait d’y répondre. tant de modestie m’a rassurée. Des maîtres, j’en ai plein la tête et plein mes bibliothèques, merci. aussitôt, j’ai eu l’impression que ce lieu m’était bénéfique, familier. Or justement, le troisième, pour le nommer ainsi, mais je veux parler de Lucas pour avouer la longue liaison qui s’ensuivit, n’autorisait aucune familiarité entre nous. Il tenait à maîtriser le transfert. sur le divan, ce fut un fiasco mais paradoxalement il devint par la suite un amant, puis un ami. Je suis enfin parvenue à lui faire comprendre que je tenais à déroger, à titiller, à provoquer et non à rentrer dans le moule. Je suis une femme comme les autres, une femme qui n’a pas systématiquement besoin d’un homme pour avancer, une femme unique. Lucas ne m’impressionne pas plus que mes élèves de khâgne et je lui ai bien fait comprendre que je n’étais pas son élève.
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Extrait
II
La lumière enlace mes ombres. Bruissement d’ailes, un souvenir passe et je les entends, ils parlent tous en même temps, tant de choses à se dire : ma famille.
« Regardez-la ! un vrai tchirklo ! »
Je venais d’être malade.
« C’est vrai qu’on dirait un petit oiseau ! » renchérit Rani, la plus frêle des grands-mères. on la disait guérisseuse. Des jours près de moi à me veiller. elle n’avait pas été la seule, un quatuor de femmes mélopant leurs prières.
C’était la saison des fleurs de sureau. Quittant un chemin de campagne pour un fourré, un fil de fer barbelé avait serré ma cheville. Quelques jours plus tard, ma jambe était enflée.
Un brave homme ce doktari : « Je ne peux rien assurer, chuchotait- il, mais elle peut perdre l’usage de sa jambe. »
Une piqûre et puis plus rien, un long sommeil jusqu’au moment où la fièvre m’avait quittée.
« Elle est redevenue agile, reprit une autre voix. »
C’était marika, la soeur de mon père, des sillons profonds ravageaient sa peau brune.
« Nos rigoles à sanglots », les appelait mami Rani. Pourtant, je ne les ai jamais vues pleurer. Leurs larmes devaient être d’avant.
« Ça aurait dû se passer comme nous sur la route ! »
« Quoi, mami ? »
Elle détourna la phrase : « ma pauvre’tite fille, t’as pas trop de force. c’est la faute à ta mère à pas suivre les vieilles habitudes. »
En posant une serviette mouillée sur mon front, Rani regarda son mari. Grand-père approuvait. De ce qu’il appelait les embrouilles de femmes, il se méfiait. Sa stratégie était d’être d’accord, enfin presque, parce que si les nerfs le travaillaient…
Haussant les épaules, Katrin, la mère de mama, lui envoya : « Que les temps n’y étaient plus ! et que c’était pas plus mal ! »
Regardant au loin, elle ruminait d’autres réponses. Ses pensées ont dû lui porter peine, puisqu’elle est sortie. Tante marika en profita : « T’as raison Rani ! comment qu’on faisait nous, hein ! »
Dans l’eau fraîche d’une rivière, les nouveau-nés étaient baignés, séchés, badigeonnés d’une mixture au brou de noix. S’ils en réchappaient, ils ne pouvaient être que forts.
Je suis donc arrivée dans ce monde au chpitala. À ce qu’il paraît, mami Rani le regretta toujours à cause de la santé que je n’avais pas.
L’hôpital fut une révolution. mama en gardait un bon souvenir. on l’avait dorlotée. À son retour, les familles s’étaient réunies, celle de mon père des Gatchkene Manush et la sienne, des Piemontese, stricts sur la morale, mami Katrin tout habillée de noir.
De tous nos grands silences, celui de la naissance enveloppe de pudeur des millénaires. Hi tchuranes, secret de femmes, douleurs et sang, éloigner les hommes, leur offrir du mensonge, tout pour leurs rêves.
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Table des matières
PASCOLI, LE CONTRE-DEUIL
La mort n’a toujours que le dernier mot ; vie et oeuvre de Giovanni Pascoli, l’un des plus grands poètes italiens, en témoignent. Dès l’enfance, il subit les disparitions de son père (mystérieusement assassiné le 10 août 1867), de sa mère et de deux soeurs, toutes emportées par la maladie. En 1868, à quelques jours de ses treize ans, son horizon s’est déjà clairsemé. Trois ans plus tard, le deuil retourne à sa tâche : Gigino, son « frère plus frère », succombe à une méningite. En 1876, Giacomo l’aîné, devenu « le petit père », meurt du typhus et rejoint lui aussi la maisonnée des morts : à vingt ans, Giovanni se retrouve à la tête d’une famille en ruines.
Mais la mort n’a toujours que le dernier mot – et Pascoli lui redonne vie. Il étudie les auteurs grecs et latins ; il retourne à ces langues dites mortes qu’il professe au lycée, puis à l’université ; treize fois, il remporte le concours de poésie latine d’Amsterdam – autant de médailles d’or qu’il fondra pour s’acheter un toit… La pauvreté est une maladie qui hâte souvent la mort : Pascoli s’engage politiquement, contribuant à l’essor d’une Italie à peine unifiée ; dans sa bouillonnante Romagne natale, il est aux côtés des anarchistes et surtout des premiers socialistes italiens ; il le paie d’un emprisonnement et d’un procès au cours duquel le poète Carducci, le futur Prix Nobel, plaide en sa faveur. En 1882, son initiation à la franc-maçonnerie est un autre éveil – secret. Par son oeuvre poétique latine mais aussi et surtout dans cette langue italienne et magique qui lui est propre, il poursuit sans cesse ce deuil du deuil, choisissant de mourir à la mort pour ne vivre que d’elle. Ce choix, c’est d’abord le « nid » familial qu’il recompose avec ses deux soeurs, Ida la brune et Maria la blonde. Mais, en 1895, après treize ans de « nid », Ida se marie. Mourant à toute conjugalité, le poète et sa soeur Maria débutent leur vie à deux. Homère, Leopardi et surtout Dante sont les compagnons tutélaires de cette renaissance. Avec eux, Pascoli devient à l’aube du XXe siècle l’un des poètes les plus décisifs et les plus inventifs pour la poésie italienne à venir. Des esprits aussi opposés que D’Annunzio et Marinetti le mettent à la première place – certes, l’autre premier nom d’une mise à mort symbolique. En 1912, la mort bien physique de Pascoli a l’étrange solennité d’un remous. On va s’inspirer de lui, comme Angiolo Silvio Novaro, comme les poètes crépusculaires et comme Montale ; et ce sera l’heure où la France l’étudie et le traduit.
Sous le poids de la Grande Guerre et du fascisme, la célébri té de Pascoli va pourtant s’effriter. Sa poésie se voit bientôt associée à la caricature qu’en imposent les manuels scolaires ; et les écoliers ne retiennent qu’une version édulcorée et lénifiante de sa poétique du Petit Enfant – une poétique, c’est le cas de le dire, qui ne les grandit pas ; et les classes récitent alors ses poèmes comme une prière à l’oubli, en insistant sur son patriotisme – sans dire qu’il se refuse au deuil de l’Italie naissante, en « leader du peuple italien » comme l’a souligné Gramsci. Après la chute de Mussolini et alors qu’une nouvelle chance s’offre aux Italiens, la critique s’intéresse de plus près à la poésie pascolienne et notamment à sa langue. Dès 1944, le jeune Pasolini entreprend sa recherche universitaire sur Pascoli; par la suite, il jouera un rôle essentiel dans la réévaluation de toute l’oeuvre du poète. En 1982, la poétique du Petit Enfant bénéficie d’une édition réalisée et présentée par le philosophe Giorgio Agamben, l’une des pensées les plus singulières et les plus critiques de la culture transalpine. Aujourd’hui, en Italie, ce travail contre la mort de Pascoli se poursuit intensément, tout en se renouvelant.
Désormais, grâce à des esprits mieux inspirés, la poétique du Petit Enfant prend dans les écoles et dans les lycées des allures de Lettre du Voyant à l’italienne ; en son pays, Pascoli renaît. Dans le même esprit, l’objet de cette présentation et de l’édition du Petit Enfant qui l’accompagne est de participer à ce « contre-deuil », à cette lutte contre la mort et dans la mort dont Pascoli s’est fait le chantre et l’analyste. Rendre vie et rendre raison à Pascoli : pour ne plus en finir avec lui et pour inciter à la découverte ou à la redécouverte d’autres Pascoli.
« Il y a en nous un petit enfant…» : cette phrase introductive de la poétique pascolienne vaut pour un recommencement à partir de Pascoli et à ce qui fait que nous sommes déjà en son oeuvre. Dans notre langue aussi, il est donc temps de mourir à sa mort pour ne pas avoir le dernier mot. -
L'initiation d'un homme
John Dos passos
- Michel de Maule
- Litterature Etrangere
- 1 Janvier 2011
- 9782876233706
Table des Matières
Préface de Georges-albert astre
Lettre autographe
Introduction de dos Passos de 1968
Préface de dos Passos de 1945
L’Initiation d’un homme, 1917
-
Table des Matières
Traverser des frontières
De L’air et des Lions
La Portée de L’ombre
Slogans
Vomir
Lui, ce soir-là
SHOULD I STAY OR SHOULD I GO ?
Lui, ce jour-là
Mentir
Les figues
De L’autre côté
Un Panama
Respiration
Lui encore, lui Toujours
Des barbelés et des oliviers
Massacre
Un silence
La Mère
Ce Père
Un matin de décembre
Déposer les armes ?
Remerciements
Quelques sources
-
Table des Matières
I. Le gros lecteur, Sophie
II. La lectrice, Alexis
III. Le jeune lecteur, Nous, Alexis et Sophie
IV. Le comité de lecture Éclairage -
Table des matières
I. VIBORG
II. TERIJOKI
III. PETROGRAD
IV. AU BORD DE LA NEVA
V. MA CHAMBRE
VI. RÉVOLUTION
VII. RURIK
VIII. FAIM
IX. ORANIENBAUM
X. LA FRONTIÈRE
-
1914-1918, la dernière lettre : les dernières lettres de soldats français tombés au champ d'honneur
Collectif
- Michel de Maule
- 1 Janvier 2014
- 9782876236004
Extrait
Lettre de Charles ADRien, Adjudant-Chef, 361e R.I., mort le 27 mars 1916, à Verdun.
Mon cher petit père,
Je suis heureux en ce jour de pouvoir t’adresser du fond de on coeur mes voeux et souhaits de bonne fête.
Je sais que tu préférerais que tous tes gars soient là pour te les exprimer de vive voix, mais sois bien certain, où qu’ils se trouvent, qu’ils ne t’oublient pas en ce triste jour qui devrait être si gai.
Les dures nécessités de l’existence nous imposent ce triste moment ; soyons convaincus, ce pendant, que bientôt tous réunis, de notre franc sourire, nous ferons oublier à tous et à nous-mêmes ces mauvais passages.
Ce 24 juin 1915 ne se passera pas sans que les pensées de mon coeur et de mon âme te soient adressées, à toi, mon cher petit père bien-aimé, qui sut faire de nous des hommes.
Sans penser à ce que nous sommes en ce mo ment, sois fier de tes enfants et de toi-même, car tu les as faits d’un moral et d’une santé assez élevés pour qu’ils puissent passer le plus aisément cette dure épreuve.
Tu as donc pour ta part contribué à nous donner une bonne chance de revenir. nous saurons trouver les autres.
Je souhaite que cette lettre t’arrive pour le 24, pour bien te marquer que nous pensons beaucoup à toi que nous aimons si tendrement.
J’espère que mon cher frère Baptiste, dans la dure épreuve morale qu’il traverse, ne doutera pas que nos pensées vont un peu vers lui aussi.
Ayons confiance qu’un jour proche nous re trouvera tous joyeusement réunis et que, si nous avons raté nos fêtes de
Famille cette année, nous puissions faire celle du coeur et du bonheur de nous revoir.
Je t’envoie de ma tranchée nouvellement con quise, bien près des boches qui nous marmitent en ce mo ment, ces petites fleurs que j’ai cueil lies à hébu terne avant de partir.
Puisses-tu trouver dans elles l’expression de mes plus tendres sentiments affectueux.
Ton fils,
Charlot.
Lettre écrite par le Lieutenant ARnOn, Maurice-eugène, du groupe cycliste de la 6e Di vision de cava lerie, tombé à l’assaut de Launois (Vosges), le 24 juillet 1915.
Le 23 juillet 1915.
Mon cher oncLe,
Demain, j’aurai le très grand honneur de monter à l’assaut des tranchées ennemies. Je commande une des colonnes d’attaque et dois m’emparer d’un blockhaus garni de mitrailleuses et d’une maison crénelée. Je ferai tout mon de voir et, si je tombe, je vous demande de prévenir chez moi avec tous les ménagements possibles ; c’est vous que j’ai demandé d’avertir.
Et, maintenant, courage !
En avant ! et vivent les chasseurs !
Bons baisers à tous.
Maurice.
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Table des matières
I. Le Menhir de Paimpol
II. Les chevaux de Honfleur
III. La Truie
IV. La nounou du Roi
V. Johnny
VI. La Cave
VII. La vieille
VIII. Réglisse et Domino
IX. Godzilla
X. Raquel Welch for ever
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Extrait
Huit jours se sont écoulés, longs, très longs, à traîner la savate, à pianoter pour elle aux heures tardives, à me laisser embrasser par Caroline que je n’aimais pas (elle, pas davantage), à siroter des bières pour ne pas oublier, à fumer cigarette sur cigarette pour rester éveillé... J’ai même envié la banalité des jours où rien ne se passe, sauf la petite vie ; celle où la paix nous ennuie, parce que trop présente ; celle que nous regrettons presque quand nous la quittons.
J’ai voulu réfléchir. Je me suis assis et j’ai tapé le pied de la chaise. « Ouais », me suis-je crié bien fort pour sortir de ma léthargie, « remue ta carcasse avant que le blues te chante.... »
Je ne tenais plus, j’ai passé un blouson. Il n’y avait plus de fierté qui compte, il fallait courir, s’assouvir, s’engorger de sentiments réciproques. J’ai poussé la porte de l’immeuble, la cour intérieure éclairait mon ombre. Le silence du dehors appartient aux heures où l’on dîne. J’ai frappé à sa porte et attendu des heures durant, assis, le coeur explosant à chaque sortie d’ascenseur, les secondes métronomisées par le zip de la minuterie. J’étais furieux. Je l’ai haïe comme on aime. J’ai sorti un feutre de ma poche et me suis appliqué à inscrire sur sa porte : je vous en veux beaucoup, en gros caractères, quand une voix m’a dit :
— Elle n’est pas là.
Je me suis retourné. Ai reconnu monsieur Assurancevie.
— Je vois, ai-je répondu acerbe.
— Ne sois pas agressif ! C’est comme ça, elle t’échappe quand tu voudrais la serrer.
— Je ne veux rien de particulier.
— Tout le monde cherche, vieux, tout le monde cherche, dit-il le regard un peu vague.
— T’es qui pour elle ?
— Son mari ... Juste pour l’état-civil... Mais son mari quand même !
Cette nouvelle m’a frappé de stupeur. J’ai eu des sueurs et des aigreurs d’estomac qui m’ont interdit durant quelques secondes.
— Tu veux boire quelque chose ?
— Ouais.
Quand il a mis la clé dans la serrure de l’appartement voisin, j’ai eu comme un coup au coeur, en un quart de seconde, j’ai imaginé la voisine sortir le lendemain matin, les bigoudis sur la tête et la dentelle de combinaison narguant la robe d’une longueur, lire sur la porte les quelques mots inscrits pour Lou.
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Extrait
Au commencement William s’intéressa aux soldats de plomb. Il organisait des batailles et concevait des stratégies. Il s’intéressa ensuite aux wargames et se prit de passion pour l’informatique et les jeux en réseau.
William était né dans une banlieue française qui n’a plus de nom. Il décida après une élection de se rendre en Amérique, fasciné par le culte de la puissance, la barbarie, la liberté. William écrivit aussi des chants barbares. Il ne se départit jamais de ses tentations littéraires. Mais il avait compris dans un dessein animé que le monde avait changé de socle.
William exerçait un puissant ascendant sur ses proches, hommes ou femmes, dont il jouait à loisir. Il étudia le monde des affaires et créa sa première société, qu’il baptisa Nemrod. Doué pour le jeu, la théorie des jeux et les mathématiques, il commença à s’imposer dans la bourse. Fasciné par les enjeux virtuels, il créa l’un des premiers éditeurs de software en Europe.
Une nuit, il s’aventura par sa fenêtre intérieure, et son écran d’ordinateur. Et là il vit son monde, il vit le monde, celui que l’on ne touche pas, mais qui commande au monde palpable. Il s’enivra de ce grand vide durant des heures. Avec ses associés, Fred et Dieter, il engendra des sociétés d’informatique, de jeux mythiques et de télécommunications. Il attendait son heure, sachant qu’un jour son heure viendrait. La conversion du monde en numérique, le passage à l’autre côté qui l’avait tenté ce soir du 23 novembre. Ma saint Clément, mes pleurs de joie, disait-il ricanant en ressassant son langage Pascal. Il écrivit un hymne baptisé par ses proches le Domesday Book, l’hymne à la conversion du monde en data. Le data monde de William. La chronique dit qu’il n’y eut pas un yard de terrain, ni une vache ni un porc qui ne fussent inscrits dans son registre.
Mais un jour William disparut.
Nul ne sait où se cache William, dans quelle mansion, dans quel cybergarden, dans quelle nef ivrogne. William navigue, et puis c’est tout. Il commande son monde, dirige ses affaires, mais comme un docteur absent (son pseudo d’initié) ; il n’est pas de ce monde.
On recherche William ; certains l’accusent de blanchir des espèces, d’autres de trafiquer des organes, d’autres enfin, mieux informés (?) de préparer le recyclage du monde en commandant aux climats. Car le monde est le cabinet de curiosités de William, et en changeant la disposition de ces pièces, William peut tout bouleverser.
Les parents de William sont morts dans un accident de la route, suite à une panne informatique. Des associés de William disparaissent, d’autres renaissent sous de nouvelles identités. Ce monde est mort pour William, qui ne voit que des démons incarnés, mais William n’est pas mort pour le monde, guettant remplacement. William a imposé sa puce. Et il a recréé la Hanse. Un de ses lieutenants est surnommé Hans. Il vit rue du temple. -
Extrait
J’ai rencontré pour la première fois Pierre Montagne à Paris en 1963. C’était en été, un dimanche après midi. Le 23 juillet très exactement. Nous nous étions donné rendez-vous dans un café du XIVe arrondissement, tout près du parc Montsouris. Falguière m’y avait accompagné. Il connaissait Pierre Montagne de longue date et il m’avait souvent parlé de lui, la première fois à Genève, où je l’avais connu à l’université comme professeur honoraire, et puis à Paris au cours de nos brèves rencontres. À cette époque, je poursuivais des études en littérature à la faculté. C’était une façon pour moi de gagner du temps. En fait, tout ce qui touchait de près à mon avenir m’importait assez peu. La fois pourtant où Falguière m’avait demandé ce que je souhaitais faire plus tard (c’était au printemps 1962 et je revois encore le petit banc de pierre dans le parc de la cité Hansen où nous étions assis), je lui avais répondu spontanément « é - crire des histoires ».
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Extrait
Á la nuit
consternée,
j’offre ma lèvre
panique.
Son chant par bribes
foudroyées
m'abolit.