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Extrait
Ce matin, j'ai déposé mon pèse-personne dans une boîte en carton et je l'ai rangé dans un placard du premier étage. Je voulais le jeter ; la peur idiote du remords m'en a empêchée. Je l'ai donc mis de côté avec la ferme décision de ne plus le laisser trôner au cœur de la salle de bains. À quoi bon me faire subir le supplice de la balance ? Je suis grosse et je le sais depuis mon adolescence. Je le vois quotidiennement dans mon miroir, je le perçois dans les yeux des inconnus croisés au détour d'une rue, je le sens dès les premières marches d'un escalier. Mon corps hors norme se reflète comme un épouvantail dans chaque pan de mon existence. Alors regarder le cadran de mon pèse-personne s'affoler sous le poids de cette montagne d'os, de muscle et de graisse relève plus de la perversion que d'un examen de contrôle. La vérification ne s'impose pas : je suis obèse. Que l'aiguille du pèse-personne s'arrête sur 133 au lieu des 135 kilos de la veille ne va pas influencer la façon dont je vais m'habiller aujourd'hui. Comme hier, ce sera l'une de ces longues, amples et jolies tuniques que j'ai patiemment dessinées et cousues. Monter sur une balance est un réflexe de cliente de boutique de prêt-à-porter. Or moi, je ne porte que du sur-mesure et du fait maison. Un peu par nécessité, la mode pour grosses flirtant trop souvent avec le mauvais goût et la vulgarité, mais surtout par passion. Porter une pièce unique, un vêtement original dont j'ai choisi la matière et la couleur, dont j'ai imaginé chaque pli et chaque couture me procure un plaisir immense. Et lorsque dans les rues de New York ou de Paris, une femme me demande où j'ai acheté soit mon manteau, soit ma tunique, l'émotion se mêle à la fierté. Je ne suis pas styliste. Je ne crée de vêtements que pour moi et parfois pour mes proches. Mais j'aime l'originalité, la beauté et, à soixante ans passés, je veux continuer de donner vie à mes idées, toujours aussi vives. Je suis grosse, mal dans ma peau, certes, parfois déprimée aussi, mais ni apathique ni focalisée sur mes problèmes d'obèse.
D'ailleurs, mon rejet soudain du pèse-personne ne correspond en rien à un fatalisme qui s'abattrait sur moi. Je ne suis ni fataliste, ni résignée. Je ne l'ai jamais été. Volontaire, active, oui. Et si mon surpoids m'a souvent gâché la vie au quotidien, il ne m'a pas empêchée de vivre et d'exister. Il ne m'a jamais complexée, il m'a rarement exclue. Je me suis épanouie dans mon métier d'illustratrice de livres pour enfants. Mon talent de dessinatrice a été reconnu en Europe, où j'ai reçu des prix, et aux États-Unis, à travers des expositions. J'ai connu le succès, travaillé avec des auteurs célèbres, comme Michel Tournier, Claude Roy, Jean Tardieu, Catherine Dolto... J'ai fréquenté des personnalités extraordinaires, comme Claude Mettra ou Jacques Lacarrière. J'ai rencontré l'amour, vécu des instants magiques avec des hommes, perdu mon temps avec d'autres, subi leurs humiliations et leur violence à plusieurs reprises. J'ai souffert, souvent, et j'ai aussi vécu des moments de bonheur comme la naissance de mes enfants Azka et Kenzo, les deux plus beaux rayons de soleil de ma vie, « offerts » par mon premier mari japonais ; ou encore mon arrivée dans cette magnifique maison du Lot où je vis désormais au côté de mon cher Hans. Une vie quelque peu hors norme, trépidante et riche. Mon parcours a en tout cas suscité pas mal de jalousies. Il y a quelques années, une femme dont je croyais être l'amie me fit cette réflexion, aussi bête que méchante : « Tu te rends compte ? Si en plus tu avais été mince et belle, tu aurais tout eu ! » Ce n'était pas la première fois qu'on me tenait ce genre de propos. Mais ces mots m'ont une nouvelle fois blessée. Oui, je suis obèse. Je ne l'ai pourtant pas choisi ! -
Loto : "cette fortune que je ne méritais pas"
Louis Simon
- eBooks et compagnie
- 1 Mai 2013
- 9782367920320
Extrait
Un samedi comme les autres
J'avais 1 chance sur 14 millions d'avoir les six bons numéros. Je l'ai saisie. Ou c'est plutôt elle qui m'a saisi. Moi, je n'ai fourni aucun effort. Je l'ai simplement vue arriver sans même l'attendre, sans même l'espérer, sans même imaginer qu'elle m'était destinée. 1 chance sur 14 millions. Ce n'est presque rien. Si 100 % des gagnants ont tenté leur chance, seuls 0,0000001 % des joueurs touchent le pactole. Une infime proportion, une quantité négligeable que tout homme raisonnable considérerait d'ailleurs comme nulle. Je n'avais aucune chance de gagner 4 millions d'euros au LOTO, je le savais. Et je ne saurai jamais pourquoi ce trésor m'est tombé dessus. Malgré moi, je cherche toujours une raison à cette richesse soudaine, un élément tangible auquel me rattacher pour donner un sens, une logique, une origine à cet extraordinaire accident. Hélas, mon esprit cartésien se fracasse immanquablement sur cette folie incontrôlable que j'appelle le hasard et que d'autres, solidement amarrés à leur foi en l'existence d'un Dieu, nomment providence. Dieu ne m'a pas signé le chèque de 4 millions d'euros. Mais si, le 4 janvier 2003, son souffle a orienté les trajectoires des 49 boules dans le bon sens, je tiens à le remercier chaleureusement. C'est la moindre des choses, non ?
Providence, hasard, coup de chance, coup de bol, coup de dé, coup de pot, coup du sort, aubaine, destin, bonne étoile... Peu importe ! De toutes les expressions, celle que je préfère reste en définitive la locution « bonne fortune » !
Je suis venu au monde un jour de Saint-Valentin, le 14 février 1958. Il faisait beau, paraît-il. De mémoire de météorologue, ce fut même le 14 février le plus chaud du XXe siècle. Je suis né une seconde fois, le 4 janvier 2003, alors qu'une vague de froid envahissait la France, que la neige paralysait Paris et gagnait peu à peu ma région, la Normandie, déjà blanche de givre. Deux naissances, deux météos « extrêmes » : est-ce une coïncidence ou bien le signe que ce jour de 2003 devait être le mien ?
Seconde naissance. Il me semble en effet avoir vécu deux vies. La première, commune à la grande majorité des hommes, rythmée par le travail, les voitures achetées à crédit, l'emprunt immobilier à rembourser sur quinze ans et les vacances d'été en caravane dans le Lot-et-Garonne ou sur la côte basque. La seconde, celle de millionnaire du LOTO, correspond à la vie telle que je l'avais rêvée : plus de boulot, plus de traites assommantes, plus de fins de mois difficiles, une vaste et belle maison, une voiture luxueuse et des vacances à perpétuité, été comme hiver, entre mon « domaine » de Normandie, l'Espagne, la Grèce, la Martinique, l'île Maurice... Plus de stress, plus de contraintes : la liberté, pure, simple et tellement agréable !
Si je n'ai naturellement aucun souvenir de ma venue au monde, le déroulement de la journée du 4 janvier 2003 reste en revanche gravé dans ma mémoire. Je peux presque visualiser chaque minute de ce week-end, le dernier des vacances de Noël. Je ressens encore le froid humide du samedi matin qui annonçait à coup sûr l'arrivée de la neige, je revois parfaitement mon épouse, Bérénice, préparant le petit déjeuner de Maxime, le cadet de nos trois enfants. Il avait 5 ans. Puis le repas de midi, tous les cinq autour de la table, avec Julia, notre fille aînée de 10 ans et son frère, Amaury, 7 ans à l'époque, tous deux regrettant déjà ces deux semaines de vacances dont ils vivaient les derniers jours. Je me souviens de tout, ou presque, de ce samedi, aussi banal dans son déroulement que les centaines de samedis précédents et qui, sans l'« événement », se serait retrouvé perdu pour toujours dans une oubliette de mon cerveau. Me souvenir de cette journée n'a d'ailleurs aucun sens car, objectivement, il ne s'est absolument rien passé d'extraordinaire avant 20 h 30 et l'apparition sur l'écran de télé de mes six numéros.
Se souvenir du jour de son mariage, des vingt-quatre heures encadrant la venue au monde de son enfant, c'est revivre une succession d'événements heureux et uniques : on se remémore des instants de joie – ce qui provoque, de nouveau, un sentiment de gaieté et de bonheur. Garder en mémoire les dernières heures qui ont précédé mon gain au LOTO ne répond pas à la même logique. La journée de ce samedi ne fut pas particulièrement heureuse, ni marquée par une émotion intense. Ni joie ni peine, une journée neutre, incroyablement banale. Mais elle reste présente en moi, intacte, comme s'il existait un lien de cause à effet entre la façon dont j'ai découpé le blanc de poulet du midi et le « bingo » du soir. Je cherche une explication, je cherche du concret. J'essaie de tordre le cou au hasard, de maîtriser l'irrationnel. Je cherche à comprendre. Simplement comprendre pour me rassurer. En gardant clairement à l'esprit le continuum de la journée du samedi 4 janvier 2003, et en y repensant, de temps à autre, je tente de découvrir la cause objective de mon gain au LOTO. Je cherche le sens de mon gain comme d'autres cherchent le sens de la vie, une explication à leur arrivée sur terre. Il n'y a pas d'explication, je le sais. Ni à ma venue au monde en 1958, ni à ma seconde naissance, 45 ans plus tard. Toutes les deux sont issues du pur hasard.
Il est 18 heures, ce samedi 4 janvier. Je suis chez moi, une petite maison dans un petit village de la campagne rouennaise. Je viens d'allumer un feu dans la petite cheminée du salon/salle à manger/bureau, les enfants jouent dans leurs petites chambres, Bérénice discute au téléphone avec sa mère qui doit nous rendre visite le lendemain. La nuit est déjà tombée depuis longtemps et je regrette sincèrement d'avoir oublié d'acheter du pain cet après-midi. L'idée de sortir et d'affronter le froid me fait hésiter un long moment. Bientôt 19 heures... Je dois prendre une décision. J'y vais ? J'y vais pas ? Le choix n'est, a priori, pas crucial : ma décision ne va pas changer la face du monde !
Un manteau vite enfilé, je monte enfin dans ma voiture, direction la boulangerie. Les rues sont déjà désertes. Le chauffage de la voiture peine à faire monter la température de l'habitacle au-delà de 16 °C. Il est tard, je pourrais me garer au plus près de la boulangerie, sur cet emplacement marqué « réservé » et dont je n'ai jamais compris pourquoi il était interdit au stationnement : aucune banque, aucun bâtiment officiel ne se trouvent à proximité. Bizarrement, cette place est à l'usage exclusif des habitants de l'ancienne épicerie, transformée depuis plusieurs années en maison d'habitation. Un étrange privilège auquel le propriétaire est très attaché. Quelques semaines auparavant, alors qu'il pleuvait des trombes d'eau et que je devais déposer Amaury chez un camarade de classe, je m'étais risqué à m'arrêter sur cet emplacement malgré les bandes jaunes et le panneau bleu barré de rouge. Un homme était alors immédiatement sorti de la maison en hurlant. Le ton était monté entre nous. Et j'avais abandonné la bataille avant même de lui demander la raison de son énervement, à mon sens très exagéré. Tant pis pour le froid, je n'ai pas envie de provoquer une seconde fois la furie du propriétaire de la mystérieuse place interdite : je gare donc la voiture un peu plus bas dans la rue et je remonte le trottoir à pied, les mains enfouies dans les poches de mon manteau. Je salue rapidement mon copain buraliste qui s'apprête à fermer boutique et je presse le pas. Devant le bar-tabac, je remarque quand même, sur la devanture, l'affiche du LOTO qui indique une super cagnotte de 4 millions d'euros le samedi 4 janvier. D'abord la baguette, je m'arrêterai peut-être après pour jouer au LOTO, si le bar n'est pas fermé.
Au comptoir, les derniers clients finissent leur verre, les chaises sont déjà sur les tables et l'odeur de la serpillière mal rincée envahit la salle. Ma baguette sous le bras, je cherche le peu de monnaie qui me reste. La vendeuse s'impatiente en regardant les aiguilles de la pendule dépasser l'heure fatidique de la fermeture. 2,50 euros : voilà toute ma fortune. Juste de quoi valider quatre grilles du LOTO.
Masquant à peine son manque d'enthousiasme, la vendeuse tape sur son ordinateur et me tend mon billet « Flash ». Advienne que pourra, c'est l'ordinateur qui a choisi les numéros ! Le rideau de fer s'abat derrière moi au moment où je remonte le col de mon manteau, avec ma baguette à 1 euro dans la main gauche, un morceau de papier à 2,40 euros dans la droite et la ferme intention, si je gagne, d'acheter la place interdite pour éviter de me geler les prochains soirs d'hiver où j'aurai oublié le pain -
Accident de la route : "comment j'ai refusé le handicap"
Michel Pirioua
- eBooks et compagnie
- 1 Mai 2013
- 9782367920344
Extrait
Au mauvais endroit, au mauvais moment...
10 février 2006. C'est mon premier jour dans un journal de l'Oise dont le rédacteur en chef est un ami. J'ai déjà un article sur le feu et la journée avance vite. Le temps est maussade, la nuit tombe, je décide finalement de rentrer assez tôt chez moi. À moto, comme toujours. Je pilote depuis 6 ans, sans excès, sans forcer. La vitesse, très peu pour moi, je le répète. J'ai l'expérience de la route et je connais pertinemment les limites de ces engins. Je suis un motard père de famille, pas un casse-cou.
Je quitte donc le journal, assis sur mon Fazer, une routière de 600 cm3. Il est environ 19 h 00. Il fait nuit maintenant et une pluie fine se met à tomber. Pas question de forcer l'allure. Il reste encore 40 kilomètres à avaler. J'entre dans la forêt de Compiègne par cette route que je connais si bien et j'aborde un passage à niveau placé au milieu d'un double virage : à droite puis à gauche avant une longue ligne droite. Trois cents mètres plus loin, un carrefour. Je suis prioritaire. Un automobiliste arrive sur la droite et s'arrête au stop. Mais il redémarre au moment même où j'arrive.
Je pense avoir fermé les yeux au moment de l'impact. Enfin je ne sais plus. Trou noir. Quand je les ouvre de nouveau, la pluie a cessé, la forêt et la nuit se sont, elles aussi, évanouies. En une fraction de seconde, je me retrouve allongé dans un lit, face à des murs beiges percés d'une fenêtre qui laisse entrevoir le ciel et un bout de toit. Je suis dans une chambre d'hôpital, c'est évident. À gauche de mon lit, une porte. Quelqu'un frappe. Et sans attendre ma réponse, une infirmière entre, tout sourire : « Bonjour M. Pirioua. Vous allez bien ? » Je réponds oui, machinalement, avec cet étrange sentiment de ne pas savoir si cette affirmation correspond bien à la réalité : tout ne doit pas aller si bien puisque je suis hospitalisé ! Bref, je m'empresse de lui poser la question qui me taraude depuis mon réveil, même si je crains de passer pour un débile : « Je suis dans quel hôpital ? » Cathy (elle s'est présentée ainsi) ne marque aucune surprise (c'est rassurant). « Vous êtes à Compiègne. » Bon, je connais la ville, j'y travaille. Le terrain m'est familier.
Second événement positif - et ô combien rassérénant de cette journée de renaissance : l'arrivée de mon épouse, Dominique, quelques minutes seulement après l'entrée de mon infirmière. « Bonjour. Tu vas bien aujourd'hui ? », m'interroge-t-elle, avant de saluer Cathy qu'elle semble bien connaître. Réponse automatique de ma part : « Je vais bien. Qu'est-ce que je fais ici ? »
Je lis alors dans son regard, non pas de l'étonnement mais le souci de bien formuler la réponse : « Tu as eu un accident de moto. Tu ne te souviens vraiment de rien ? » Et c'est à ce moment-là que j'ai pris réellement pied dans ma nouvelle réalité. Deux mois et demi s'étaient écoulés depuis l'accident. J'étais cloué au lit, amaigri, paralysé. Et aucun souvenir du drame. Comment était-ce possible ? J'aurais dû au moins me souvenir du choc, de sa violence, des pompiers qui m'ont ramassé, de la sirène de l'ambulance ... Mais non. Rien, absolument rien !
Dans mon souvenir, nous avons différé l'exposé des faits au lendemain. Il fallait d'abord combler ces deux mois et demi où j'avais été inconscient. Domie m'a donné des nouvelles de mes deux filles adorées (Lucile, 16 ans, et Léa, 12 ans), de la famille et des amis, manière de réintégrer, un peu, le cours de ma vie. Puis elle est rentrée à la maison. Première séparation pour moi. Car en réalité, cela faisait plusieurs semaines que j'avais rouvert les yeux, communiquant avec mon entourage. Mais cela non plus, je n'en ai aucun souvenir. Pour moi, les minutes que je viens de relater sont celles durant lesquelles j'ai eu vraiment conscience de la réalité. Tout ce dont je me « souvenais » des deux mois précédents, ce n'était qu'un long rêve, une sorte de voyage dans un monde parallèle. Dominique me permettra de recoller toutes les pièces une à une : un long travail mené avec l'aide des infirmières, des kinés et des médecins.
L'accident, c'est donc Dominique qui me le raconte : le croisement, la voiture qui redémarre trop tôt et me percute de plein fouet. Je suis éjecté de la moto, projeté sur l'autre voie, heurtant un panneau indicateur avant de retomber au sol Par chance (et oui, il en faut un peu) le chauffeur d'un camion arrivant en sens inverse a un étrange pressentiment et freine. Il s'arrête à quelques mètres de moi. Transport à l'hôpital de Compiègne, service des urgences et examens. Diagnostic : crush syndrom avec hémorragie interne et empoisonnement du sang. Une série de termes barbares pour dire que je suis dans un sale état ! Il paraît que je suis très agité. Je dois souffrir. On décide alors de me plonger dans un coma artificiel, seul moyen de faire disparaître la douleur.
Le médecin qui m'a sauvé la vie pense qu'en retombant, mes jambes ont fait un grand écart. Sous la pression musculaire (je suis sportif, coureur de vitesse et tennisman) mon bassin s'est séparé par le milieu, provoquant un étirement des terminaisons nerveuses. Conséquence : fracture du bassin et paralysie des membres inférieurs et supérieurs. Fort heureusement, la moelle épinière n'est pas touchée. Rien de définitif par conséquent.
Au terme de son exposé, Dominique est inquiète. Je le vois bien. Elle craint ma réaction, elle a peur que je m'effondre. Curieusement, je reste calme : « J'en ai pour longtemps avant de m'en remettre ? » Et là Domie m'explique que mes gaines nerveuses, sérieusement endommagées, doivent se reconstituer. C'est comme refaire le circuit électrique défectueux d'une maison. Sans cela les appareils (les muscles en ce qui me concerne) ne fonctionnent pas. La comparaison s'arrête là car aucun chirurgien, même électricien de formation, ne pourra remplacer un système nerveux défaillant. Le corps doit se régénérer avec ses propres ouvriers, le cerveau et les fibres nerveuses, des travailleurs extrêmement lents : pas plus de 2 millimètres de gaines réparées par jour. Or, le chantier s'étend sur plusieurs kilomètres. Il va falloir de la patience, beaucoup d'exercices de kiné et une sacrée dose de volonté.
Mon physique de rugbyman, c'est donc du passé. En deux mois et demi de coma, toute ma musculature a fondu, j'ai perdu plus de 30 kilos. Je le constate en soulevant les draps, sans que cela ne m'effraie : mes jambes sont squelettiques, mes mollets et mes cuisses, autrefois puissants, n'ont plus aucun volume. Fixée à mon abdomen, une large ceinture de fer m'enserre le bassin pour le maintenir. Là encore, pas de peur. Je suis beaucoup plus étonné par tous ces poils qui recouvrent mes membres inférieurs : je n'en avais pas avant l'accident. La raison ? Je n'oserai pas la demander aux médecins avant plusieurs semaines, craignant d'être victime d'une terrible mutation. Pourtant, l'explication est d'une simplicité enfantine : quand on marche, le frottement du pantalon provoque une sorte d'épilation naturelle. Or, cela fait plus de deux mois que je ne marche plus !