Les autorités et les penseurs chrétiens du Moyen Âge ont, en règle générale, tenu un discours extrêmement négatif à l'égard de ceux qu'ils appelaient les païens, qu'il s'agisse de figures polythéistes du passé ou d'individus professant au présent une autre religion : stupides, brutaux, sans foi ni loi, les païens sont ordinairement donnés pour damnés. Pourtant, dans l'Europe du Nord entre la fin du vie et le début du xiie siècle, une poignée de personnages ont été reconnus comme de « bons païens » par des auteurs chrétiens : certains sont regardés comme fondateurs, vertueux, voire exemplaires, et il arrive même qu'on laisse entendre que l'un ou l'autre d'eux a pu accéder au salut. Ainsi le poème anglo-saxon Beowulf met en scène des personnages héroïques et positifs, laissant planer le doute sur leur sort ultime, enfer ou paradis. De fait, selon les contextes politiques, sociaux, et culturels, les réponses à ce double problème de la vertu et du salut des païens ont été très variables : ainsi, si certaines sociétés ont rapporté sans trop de réticences l'histoire héroïque de leurs ancêtres païens, d'autres ont été amenées à refouler l'essentiel d'un passé jugé incompatible avec le nouveau contexte religieux. L'enquête progresse de façon à la fois géographique et chronologique, explorant tour à tour l'Irlande, les marges septentrionales du royaume des Francs, l'Angleterre, le pays de Galles, la Scandinavie et le monde slave occidental. Dans toutes ces régions, la question des bons païens permet d'éclairer la manière dont, au prix d'accommodements et de bricolages théologiques, les sociétés nouvellement converties ont appris à parler d'elles-mêmes à travers le miroir de l'Autre païen.
Ce volume est le deuxième d'une série d'ouvrages portant sur « Statuts, écritures et pratiques sociales dans les sociétés de la Méditerranée occidentale à la fin du Moyen Âge (XIIe-XVe siècle) », visant à étudier les statuts communaux dans une optique d'histoire sociale, non pas comme une source « normative » mais comme une source de la pratique, de leur matérialité et de leur forme d'écriture aux pratiques sociales en passant par les conditions de leur production et de conservation, leur inscription dans un paysage documentaire communal, leur structure et leur contenu. Cet ouvrage, plus spécifiquement, se donne pour but de replacer la matière statutaire de l'Italie (Sienne, Ferrare, Gênes, Rimini, Milan, Orvieto, Pérouse, Todi, Pise, Lucques, la Sicile et Candie vénitienne) et du Midi de la France (Agen, Marseille, Avignon, Rodez et Comtat Venaissin) au sein d'un ensemble de documents produits par les autorités communales, par d'autres institutions présentes dans la commune ou par une autorité supérieure (seigneur laïc ou ecclésiastique, prince, roi ou pape) exerçant son dominium. Il s'agit donc d'éclairer le statut dans son paysage documentaire pour mesurer les circulations documentaires en repérant et en analysant tout les points de contact entre les statuts et les autres documents. Du niveau le plus haut ou le plus large (comtal, provincial ou royal) au plus restreint (groupements professionnels) en passant par l'échelon communal, les différentes strates normatives se superposent et se complètent mais peuvent également entrer en concurrence, nous dévoiler des tensions entre les divers niveaux de réglementation, chacun de ceux-ci espérant marquer son emprise, dominer un espace ou un secteur d'activité. Statuer peut, en ce sens, apparaître comme un enjeu social de toute première importance.
La prédation est une réalité incontournable des sociétés du haut Moyen Âge. Que l'on pense au sac de Rome par les Wisigoths en 410, au récit du vase de Soissons, aux déprédations vikings des IXe et Xe siècles, ou encore aux razzias incessantes de la guerre féodale, l'histoire de ce temps est traversée de pillages, de captures, de prélèvements de tributs effectués par la force. Associées pendant longtemps à une conception négative du Moyen Âge, ces pratiques ont peu intéressé les chercheurs. Tout au plus s'y est-on parfois penché de manière biaisée, par exemple en étudiant les conséquences des déprédations vikings, hongroises ou sarrasines sur l'Occident chrétien. Cela revenait implicitement à enfermer certaines sociétés, comme les Scandinaves, dans leur dimension prédatrice, alors que l'Occident chrétien ne pouvait être pensé, selon le contexte, que dans le rôle de victime ou de conquérant. Considérée depuis quelques décennies dans une autre perspective, la prédation est désormais envisagée comme un phénomène économique, politique, social et culturel. Abordant les questions aussi diverses que les formes de partage du butin, la place de la prédation dans la circulation des richesses, l'insertion des captifs de guerre dans les économies locales ou dans les circuits du commerce d'esclaves, l'importance de la prédation dans le fonctionnement du pouvoir, ou encore la manière dont ces sociétés légitiment la pratique prédatrice, cet ouvrage apporte un éclairage nouveau sur cette pratique.
Le souci des morts est le propre de notre commune humanité, par delà l'infini répertoire des pratiques funéraires qui l'expriment et le traduisent. Mais les relations entre les vivants et les morts, le commerce qui s'établit de part et d'autre de la tombe, les échanges matériels et immatériels dont elle est le pivôt, sont pour les historiens et les archéologues de formidables révélateurs des structures (sociales, économiques, symboliques) de la société qu'ils étudient. En tenant son LXVIIIe congrès à Jérusalem, ville-sanctuaire et ville-cimetièreoùtant d'hommes et de femmes sont venus ou ontespéré mourir au Moyen Âge, la Société des historiens médiévistes de l'Enseignement supérieur public a souhaité interroger les relations entre les vivants et les morts en un lieu placé au coeur des croyances et des attentes eschatologiques des trois grandes traditions monothéistes. Attentifs à la diversité des mondes chrétiens, juifs et musulmans qui se croisent dans l'histoire de Jérusalem, les auteurs ont mobilisé l'ensemble des traces laissées par les gestes, les pratiques et les croyances des hommes et des femmes du Moyen Âgeàl'égard de leurs morts : de l'étude archéologique des sépultures à leurs représentations, de l'épigraphie funéraire à la mémoire archivistique des défunts, du commentaire des écritures saintes au récit des morts illustres ou anonymes. Ainsi sont mis en lumière la prise en charge des défunts, l'espace qui leur est assigné en propre ou en partage dans la société de leur temps, l'économie des échanges matériels et mémoriels entre morts et vivants, les croyances enfin qui investissent les multiples temporalités de leurs relations de part et d'autre de la tombe. Le Moyen Âge n'a cessé de bruisser du commerce des vivants et des morts : ce volume entend donner à entendre cette conversation ininterrompue.
Définir toujours plus finement les contours des sociétés médiévales et les hiérarchies qui les traversent, mettre en lumière leurs stratégies économiques, scripturaires et politiques en valorisant l'agency des individus, tels sont les champs embrassés par François Menant ces quarante dernières années. Le crédit, les conjonctures de crise et les réponses qu'y apportent les sociétés urbaines et rurales, leur litteracy et leur communication politique sont autant de thèmes sur lesquels cet ouvrage a l'ambition d'offrir un panorama actualisé. Couvrant un large arc chronologique, du haut Moyen Âge à la Renaissance, dans un espace européen généralement orienté autour de la Méditerranée, ce livre collectif a également vocation à retracer les vastes réseaux scientifiques internationaux tissés par François Menant au cours de sa carrière : anciens élèves de l'École normale supérieure de Paris, maîtres de conférence, professeurs des universités, venus de France, d'Europe ou des Amériques offrent ainsi un instantané de la recherche en histoire économique et sociale actuelle. De l'individu au groupe, de la figure de l'entrepreneur médiéval aux élites rurales, de François Menant à ses élèves et à ses collègues, tel est le chemin que permettra de parcourir cette étude.
Les quatorze communications réunies ici, auxquelles s'ajoutent les témoignages de ses collègues et amis du CNRS à Villejuif, rendent hommage à l'apport scientifique de Nicole Pons sur le sujet qui a été au centre de toute sa carrière : le premier humanisme français. Elles montrent comment son oeuvre peut servir de modèle. La quête exigeante des manuscrits fait sortir de l'ombre des intellectuels liés par l'amitié et ouverts sur les auteurs italiens. Ces hommes, parfois illustres mais souvent anonymes, sont aussi des polémistes, qui ont mené de grands combats. Ils ne se sont pas contentés de vouloir résoudre le Grand Schisme ou de réformer le royaume en proie aux guerres civiles du temps de Charles VI. Ils se sont engagés de toute leur force contre les Anglais, pour rétablir l'Union avec les Grecs, pour asseoir le pouvoir légitime de Charles VII, qu'il s'agisse de sa filiation ou de ses droits... Par un jeu de miroir qui les renvoie aux auteurs antiques et surtout à Cicéron, ils croient à la vertu de leur plume pour dire le Vrai et pour changer le monde. C'est dire la belle continuité de leur mission que les terribles massacres de 1418 n'ont pas interrompue, et que ce colloque sait rendre en décrivant le foisonnement de leur pensée du début du XIVe à la fin du XVe siècle. Un style et une démarche qui n'étaient pas pour déplaire à Nicole Pons.
De Jean de Berry, l'histoire a retenu l'image d'un prince mécène et bibliophile, ardent défenseur de la couronne au temps de Charles V et de Charles VI. Doté d'une principauté au centre du royaume, tenue en apanage, il a développé une administration dont les contours ont déjà été reconnus. Sa chancellerie, en revanche, a peu retenu l'attention. C'est autour des pratiques de l'écrit documentaire, actes en tête, que s'organise la présente publication. Celle-ci se veut une contribution à une meilleure connaissance de l'acte princier des xive et xve siècles, un domaine qui, s'il a été illustré par divers historiens et diplomatistes, ne l'a été jusqu'à maintenant que de façon discontinue et incomplète. Par l'extension géographique et la variété de ses pouvoirs, par sa proximité avec la personne royale (il a été successivement fils, frère, oncle de roi), par la durée de son activité (une soixantaine d'années, de 1356 à 1416), Jean de Berry a légué un corpus central pour l'étude de l'acte princier. Un acte princier qui devient, à l'époque, une pièce importante de la production diplomatique et, par la captation de traits royaux, un outil efficace de la genèse de l'État moderne et de l'apprentissage de la sujétion. Organisation, recrutement, fonctionnement de la chancellerie, gestion de la mémoire des actes, traits internes et externes des productions, manifestations du pouvoir dans les titulatures et les sceaux, méthodes d'édition... sont scrutés dans les contributions de ce volume, non seulement pour Berry, mais aussi, de façon délibérément comparative, pour plusieurs de ses contemporains (princes anglais et navarrais, ducs de Bourbon, d'Anjou et de Bretagne).
Cet ouvrage propose une série d'études fondées sur des travaux de jeunes chercheurs éclairant la façon dont l'essor de l'écrit documentaire au cours d'un long XIIIe siècle a transformé en profondeur les pratiques administratives des sociétés médiévales occidentales. De la Sainte-Trinité de Caen au Mont-Cassin, de Paris au Midi toulousain, ces textes interrogent la façon dont l'écrit administratif est produit, utilisé, archivé. Écrire, est d'abord une façon d'appréhender le territoire, par l'inventaire des ressources d'une institution, par l'enquête, par l'enregistrement d'actes, renvoyant aux préoccupations propres au contrôle d'un espace éclaté, ou dans l'affirmation d'une personnalité institutionnelle. Les formes prises par ces documents administratifs et leur place dans les processus de gouvernement dépendent des hommes qui en gouvernent la genèse, de leur conception à leur rédaction, que ces dynamiques soient collectives, comme dans l'administration du comte de Toulouse, ou individuelles, comme dans la pratique toute personnelle de l'artisan Jean Teisseire. L'objet-document ainsi produit résulte d'une stratification de pratiques évoluant dans le temps, que seule une étude codicologique minutieuse et rigoureuse peut restituer, comme dans le cas du livre-outil de Saint-Martin de Pontoise. Enfin, la dimension archivistique de l'écrit apporte un recul sur la constitution de mémoires documentaires indissociables de certaines transformations sociales de la fin du Moyen Âge. L'étude des cartulaires de Notre-Dame de Paris et des regards croisés sur la documentation de la Sainte-Chapelle, par exemple, viennent ainsi compléter notre compréhension des mécanismes d'archivage et de la fonction des archives au sein des institutions.
Ce volume est le quatrième d'une série d'ouvrages portant sur « Statuts, écritures et pratiques sociales dans les sociétés de la Méditerranée occidentale à la fin du Moyen Âge (XIIe-XVe siècle) », visant à étudier les statuts communaux dans une optique d'histoire sociale, non pas comme une source « normative » mais comme une source de la pratique, de leur matérialité et de leur forme d'écriture aux pratiques sociales en passant par les conditions de leur production et de conservation, leur inscription dans un paysage documentaire communal, leur structure et leur contenu. Ce dernier ouvrage s'intéresse aux statuts « vus de l'extérieur » c'est-à-dire au rapport entre le texte statutaire et sa mise en jeu dans des pratiques sociales concrètes, mais aussi à la manière dont les acteurs médiévaux se posent la question de l'usage de la norme, aux divers moments documentaires où ils font référence ou allèguent explicitement les statuts dans leurs pratiques. Il n'est donc question de statuts qu'à travers d'autres documents, qu'ils fassent partie du paysage documentaire communal (délibérations communales, registres de justice, registres de compte, criées, épigraphie, iconographie, etc.) ou qu'ils soient élaborés en marge des écrits de gouvernement (registres notariés, testaments, récits de miracles, procès de canonisation, sources narratives, chroniques, etc.). Le but est de repérer, d'analyser et d'étudier la manière dont les normes statutaires se sont diffusées - ou pas -, ont été appliquées - ou pas - dans les pratiques politiques, économiques et sociales de la commune : comment ont-elles été validées, reproduites, conservées, diffusées ? C'est l'occasion de mesurer la force pratique des statuts, leurs effets dans la vie quotidienne du gouvernement et des acteurs sociaux, de prouver ainsi la pertinence de la confrontation entre divers éléments textuels produits par la commune pour élaborer une histoire des pratiques sociales à partir des pratiques d'écriture dans les sociétés de la Méditerranée occidentale à la fin du Moyen Âge (XIIe-XVe siècle).
Malgré les progrès constants de l'écrit, les sociétés latines, byzantines ou musulmanes du Moyen Âge restent très largement dominées par l'oral et les sons. La voix tient un rôle primordial au sein d'un paysage sonore dont l'étude a récemment bénéficié d'un regain historiographique et du croisement interdisciplinaire avec l'anthropologie, la musicologie, l'archéologie, l'architecture, l'art ou la littérature. Le 50e congrès de la Société des historiens médiévistes de l'Enseignement supérieur public a ainsi voulu mieux comprendre la production, les usages, la définition et les contextes d'emploi de la voix, plongée dans des configurations engageant autant la parole, le discours, la déclamation que le chant ou, à l'inverse, le silence ou la voix intériorisée. Les contributions s'intéressent à la présence et aux marques d'oralité dans l'écrit, à la musique et à sa « fabrique », aux paysages sonores, aux cris et émotions, aux rythmes, à la scansion et à la cantillation..., bref à tous les contextes et prétextes qui produisent la voix, l'accompagnent ou la mettent en scène, et à ce qui est reproduit, proféré, clamé ou tu par elle. Vingt ans après la rencontre de Gttingen, le congrès de Francfort rappelle également l'importance des échanges universitaires et historiographiques franco-allemands dans une ville profondément européenne et au riche passé historique.
En droit canonique, l'excommunication est une censure, une peine médicinale, qui vise à mener le pécheur à faire pénitence afin d'être réintégré dans le giron de l'Église. À la fin du Moyen Âge, l'excommunication apparaît aux yeux des réformateurs comme galvaudée par son usage courant pour des causes mineures, endettement ou contumace essentiellement. Quel est le poids réel de l'excommunication pour les fidèles qui l'endurent ? Sources normatives et liturgiques définissent l'excommunication comme une peine prononcée par les pouvoirs ecclésiastiques envers ceux qui sont rétifs à l'autorité de l'Église : l'excommunié est banni de la communauté des chrétiens jusqu'à ce qu'il obtienne son pardon. Mais les archives des officialités révèlent à la fois les usages réels de la censure, arme de l'Église pour défendre ses droits et surtout pour obtenir des fidèles un comportement conforme aux exigences chrétiennes, et la perception de l'excommunication par ces mêmes fidèles. L'attachement à la communauté est indéniable et l'excommunication abusive est vécue comme une atteinte à l'honneur de chacun, comme une mise en cause du lien social existant au sein de la paroisse. Cependant, les relations entre proches, parents, amis, voisins, dépassent la portée de l'excommunication, réduisent l'efficacité de celle-ci en maintenant l'excommunié au milieu des siens. L'idéal reste une participation pleine et entière à la vie liturgique paroissiale, par laquelle la communauté se forme et s'affirme. Abus de l'Église peut-être, mais l'excommunication est indéniablement un révélateur du lien existant entre l'Église et les fidèles en cette fin du Moyen Âge.
L'avènement du sultan Barqûq sur le trône du royaume syro-égyptien en 1382 est perçu dans l'historiographie comme l'événement qui distingue l'époque turque de la période circassienne du sultanat mamlouk. Si rupture il y a eu, elle n'est toutefois pas tant ethnique que politique, marquant l'évolution de la nature du régime. La restauration de la dignité sultanienne et l'élaboration d'un nouveau discours de légitimité vont de pair avec la concentration des ressources fiscales au sein de la Maison du sultan, celle-ci étant confrontée néanmoins, dans le même temps, à la multiplication des conflits opposant les membres de l'élite militaire, les émirs. Au-delà des enjeux symboliques et économiques que se disputent ces officiers du sultanat, la lutte politique s'élabore autour de l'extension d'un capital social fondé sur des réseaux clientélistes. Dans cette compétition politique, les sultans successifs rivalisent avec de puissants émirs pour affirmer leur patronage sur l'élite militaire et s'imposer comme les maîtres du jeu. Ce livre se saisit de la « dynastie barqûqide » en tant que laboratoire d'observation anthropologique de la conflictualité dans le sultanat mamlouk. Entre exclusion des émirs et intégration dans les réseaux, démonstration de force théâtralisée et violence anomique, la forme des conflits suit l'évolution de la nature du régime pour mener trente ans plus tard, en 1412, à la chute de la dynastie. L'ouvrage remet ainsi en question la périodisation classique en faisant de l'exécution du fils de Barqûq, le sultan Faraj, la véritable fondation du régime circassien.
Ce livre ne traite ni de la vie d'Ambroise (339-397), évêque et saint patron de la ville de Milan, ni de l'oeuvre de celui qui fut considéré comme l'un des quatre Docteurs latins de l'Église latine. Il tente une archéologie historique de la mémoire ambrosienne, ou plutôt de la disponibilité sociale de son souvenir dans l'Italie médiévale et moderne. À travers l'étude de ses usages politiques, on tente de saisir le champ d'action d'une memoria patristique qui plonge ses racines dans la tradition ecclésiale, la science médiévale et la piété populaire. Résolument interdisciplinaire, cette enquête collective croise les apports des historiens et des archéologues, des philologues et des historiens de l'art, des spécialistes de la liturgie et de l'ecclésiologie, de la vie politique comme de l'histoire de l'érudition. Elle ne se contente pas de dresser la chronique des appropriations collectives d'un souvenir disputé à la faveur de la résurgence des « nouveaux Ambroise » qui s'autorisent de son nom, mais tente de cerner les lieux où s'ancrent le souvenir : lieux urbains et iconographiques formant une géographie monumentale du souvenir ambrosien, lieux de la canonisation textuelle et lieux liturgiques de la remémoration. Homme de la romanité continuée, fondateur mythique des libertés ecclésiales et communales de la ville de Milan, Ambroise ne peut s'appréhender qu'à partir de ces lieux de mémoire. Il ne peut toutefois se réduire à ce souvenir situé : saint universel, Ambroise se prête à la réactualisation permanente d'une tradition patristique, qui en fait une ressource discursive pour les controverses, les luttes sociales et les mobilisations collectives. En ce sens, et bien loin de l'image irénique qu'on pourrait se faire de la religion civique, le saint divise autant qu'il rassemble.
Dans la société byzantine, éminemment chrétienne, les évêques jouent un rôle qui dépasse de loin celui qu'on leur assigne aujourd'hui, avant tout celui de pasteur du troupeau. Ce sont en effet des personnages publics, qui se sont imposés comme une nouvelle catégorie de fonctionnaires ; quand leur rémunération n'est pas directement allouée par l'État, elle provient des dotations foncières de l'évêché, qui sont des terres publiques. Des fonctionnaires particuliers, puisqu'ils sont les détenteurs de la succession apostolique apportée par leur consécration et que, réunis sur convocation de l'Empereur en conciles, ils définissent le dogme. Comprendre le fonctionnement de ce groupe social est donc nécessaire pour saisir la nature de la société byzantine, d'autant que, dans un monde fortement dominé par la capitale, Constantinople, du moins dans les sources qui nous sont parvenues et qui ont été le plus étudiées, ils permettent de saisir une partie de la réalité provinciale qui nous échappe trop souvent. Benjamin Moulet s'est attelé à cette tâche délicate qu'il a su mener avec bonheur en seulement quatre ans. Il a justement écarté l'étude de cet évêque très particulier qu'était le patriarche de Constantinople, de façon à bien centrer son propos sur la province, même si, bien entendu, les évêques ne manquent pas d'accourir ou d'intervenir très fréquemment dans la capitale. Pour parvenir à cette fin, il a dépouillé une très large palette de sources de tous ordres, depuis les récits hagiographiques et les chroniques jusqu'aux sceaux, en passant par les Notitiæ Episcopatuum, particulièrement délicates à utiliser, dont il a su patiemment démêler les fils pour nous fournir autant que faire se pouvait une géographie que l'on trouvera dans les cartes. Assurément, rares sont les sources disponibles parlant des évêques byzantins du début du VIIIe au début du XIe siècle qui lui auront échappé ; toutes sont critiquées avec sûreté. De plus, Benjamin Moulet ne recevait que de façon tout à fait marginale le secours d'une archéologie encore insuffisamment développée dans le vaste territoire considéré.
L'histoire sociale du Moyen Âge est aujourd'hui en pleine évolution : elle redéfinit ses objets et, construisant des approches originales, délaisse vieux paradigmes et anciennes périodisations, sans rien renier pour autant de l'acquis transmis par les générations précédentes. Ce livre s'empare des thématiques les plus renouvelées depuis les années 1990 - l'espace, l'écriture, la vie économique comprise comme l'une des modalités de la domination sociale. Ces différentes approches témoignent du dynamisme d'une discipline qui se place délibérément à la croisée des sciences de l'homme et de celles de la société, n'hésitant pas, pour enrichir ses analyses, à mobiliser les concepts de la sociologie et de l'économie. Des sciences plus classiques et plus techniques, comme la paléographie et la diplomatique, sont de la même façon convoquées pour saisir les raisons de l'inscription des choses et des faits dans des listes ou dans des récits. Au coeur de ces problématiques se retrouvent les notions de territoire, seigneurie, paroisse mais également des sujets qui rénovent l'histoire sociale, telle l'anthroponymie. L'histoire économique, quant à elle, dépassant les débats qui ont structuré son historiographie dans la seconde moitié du XXe siècle, cherche à définir les notions-clés de crise ou de commercialisation et s'interroge sur le fonctionnement concret de la société paysanne. Conçu comme un hommage à Monique Bourin et à son oeuvre d'historienne, ce livre atteste de la richesse et de la fécondité de son enseignement ainsi que de son talent à transformer un champ d'études en guidant et fédérant les travaux de très nombreux chercheurs.
La brillante civilisation urbaine byzantine tire ses moyens d'existence des campagnes ; alors que les villes, face aux invasions, se replient derrière leurs murailles, le village devient un élément décisif de la société byzantine. Michel Kaplan a tenté de reconstituer la vie rurale de cette époque (vie-xie siècle) où Byzance surmonte le choc des invasions pour redevenir une grande puissance. Pour cette période mal dotée en documents d'archives, il a exploité systématiquement l'hagiographie, mais aussi les résultats de l'archéologie dans les Balkans, en Asie Mineure et en Syrie, la sigillographie et les enluminures des manuscrits. Il propose ainsi d'abord une description des constantes de la vie rurale byzantine (productions, pratiques agraires, habitat et terroir) ; puis il montre l'émergence de la société villageoise byzantine et de ses institutions, notamment la communauté villageoise, au-delà de son simple aspect fiscal ; ensuite, il reconstitue l'ascension des puissants qui aboutit à la crise de la petite paysannerie, que tente de résoudre la politique de la dynastie macédonienne ; enfin, recherchant les mécanismes de l'économie rurale byzantine, il étudie l'impact des facteurs conjoncturels, tente de définir le fonctionnement de l'exploitation paysanne, cellule de base de la production agricole, pour rechercher une explication au « blocage » de la société byzantine qui caractérise le xie siècle.
En avril 1989, une centaine de chercheurs se sont rencontrés à la Sorbonne pour discuter des 32 communications réunies dans ce volume sur Paris et la Révolution. Le programme qui s'orientait autour de trois axes principaux, le milieu parisien, le rôle de la capitale et les rapports de Paris avec la France révolutionnaire, a rencontré un large écho auprès des historiens français et étrangers. Loin de se cantonner dans l'histoire de la capitale, cette rencontre, tout à la fois bilan et perspective, apporte des vues neuves sur la société parisienne, sur son évolution et son rapport à la Révolution. L'étude du mouvement des hommes et la circulation des idées, souligne l'influence de Paris sous la Révolution, et son rayonnement en France et à l'étranger.
La victime détroussée par un voleur ou les témoins qui assistaient au délit se mettaient à hurler « haro ». Le crieur public, installé aux carrefours ou en tout autre lieu « accoustumé à faire cry », introduisait à haute voix son information par « Oyé, bonnes gens, on vous fait savoir... » Les sujets du royaume de France qui assistaient à une entrée royale ou à la conclusion de la paix s'écriaient « Noël ». On pourrait sans peine allonger la liste de ces cris médiévaux régulateurs des liens sociaux. Le Moyen Âge était très bruyant et les cris, spontanés ou ritualisés, fréquents. Nous l'avions peut-être oublié. Cet ouvrage vient nous le rappeler. Résultat d'un véritable travail de groupe, les études rassemblées dans ce volume visent à montrer que le cri, forme particulière de la parole, représente, dans une société largement dominée par l'oralité, un « acte de langage », une expression spécifique des sentiments et des émotions, un outil fréquent de l'interaction et un enjeu crucial dans les systèmes de communication. Ce que nous entendons aujourd'hui comme un cri est-il perçu comme tel au Moyen Âge ? Quels sont les mots qui signalent le cri ? Quels sont les lieux, les temps, les groupes où cette parole bruyante et créatrice est souhaitée, autorisée, tolérée ou interdite ? Les auteurs insistent ainsi sur la forte présence du cri lors des rites de passage, politiques, guerriers, sociaux et familiaux. Ils étudient également les crieurs, saisis dans leurs pratiques : les cris des marchands ambulants qui résonnent et se répondent dans les rues ou ceux du crieur public, au rôle politique central. Pour le roi, le seigneur ou la ville, posséder le cri est en effet la manifestation de son pouvoir et de sa capacité à maîtriser l'espace. En contrepoint de ces études sur l'époque médiévale, la parole a été donnée à une historienne de l'Antiquité et un historien du temps présent pour ouvrir ce travail novateur à d'autres périodes de l'histoire, afin de montrer que le cri relève aussi d'une construction culturelle variant dans l'espace et dans le temps.
Le Moyen Âge scandinave, que les historiens du nord de l'Europe font débuter vers 1100, est relativement méconnu en France. Les royaumes qui se constituèrent alors sont encore tenus pour des mondes marginaux, plus soumis à un héritage et à des coutumes propres qu'influencés par les modèles sociaux, politiques et culturels de l'Europe occidentale. Les communications, présentées lors du colloque qui a réuni en juin 2005 à Paris des médiévistes nordiques et français, et rassemblées dans ce volume, apportent un regard nouveau sur les relations que les royaumes nordiques ont entretenues avec le reste de l'Occident, en prenant comme fil conducteur l'histoire de leurs élites, clercs et laïcs. Deux approches ont été privilégiées, l'analyse des formes et des lieux d'échanges et celle des systèmes de reproduction de la domination sociale. Que ce soit par les voyages, la diplomatie, ou par la confrontation violente, qu'elles aient fréquenté les cours royales et princières, la Curie romaine, les monastères ou les universités, ces élites ont parcouru l'espace européen et se sont approprié les outils de domination sociale et culturelle, comme l'écrit, les livres, les pratiques intellectuelles, les valeurs symboliques... Leur diffusion a été aussi assurée par les Occidentaux venus dans le Nord, prélats, chevaliers et marchands. Pour exercer le pouvoir politique, les aristocraties nordiques ont largement puisé dans des usages et des normes partagés par l'ensemble des élites européennes. Elles se sont appuyées sur des réseaux similaires de consanguinité et d'alliance. Elles ont adopté les modes de vie, les idéaux, les codes du paraître et de l'honneur des noblesses occidentales. Du xiie au xve siècle, sans nier les particularismes éventuels, l'histoire des élites et celle du pouvoir politique ont donc connu des développements synchrones : renforcement de la loi, émergence des juristes, essor d'une élite de conseil, ambitieuse et souvent frondeuse, inflexions idéologiques de la fonction royale.
Ce livre réunit les actes du colloque international accueilli à l'Hôtel de Ville en octobre 2005, qui souhaitait esquisser, comme le souligne Daniel Roche en introduction, par-delà les acquis « un projet pour des tentatives de relecture et d'approfondissement, d'ouverture et de renouvellement ». L'originalité de l'ensemble est d'associer des champs d'étude moins fréquentés que l'histoire politique de la capitale en révolution. Il s'agit d'étudier la Cité, carrefour unique dans la France du XVIIe siècle de production et d'échange des biens matériels et symboliques, sous l'angle d'un espace en mutation au plan administratif, économique et culturel. Chacune des trois parties est précédée d'un substantiel rapport introductif qui fait le point des acquis, mais aussi des manques, et propose des pistes nouvelles de recherche : la première « Administration et finances » est introduite par François Monnier, la seconde « Économie » par Dominique Margairaz, et la troisième « Pratiques culturelles » par Raymonde Monnier. Les contributions publiées dans ce volume croisent les points de vue pour tenter de réévaluer les mutations à l'oeuvre dans les infrastructures, les métiers et les entreprises, comme dans l'administration - de l'urbanisme à la sécurité et au maintien de l'ordre. D'autres transformations, économiques, affectent les domaines de la construction, des transports et de la politique sanitaire, dans une ville industrielle déjà malade de ses pollutions. Au plan culturel, on voit se redessiner les espaces, tant du côté de l'art dramatique et du musée que des modalités de l'éloquence, de la sociabilité savante ou des défis dans l'univers de la gravure, dont témoignent les Tableaux historiques de la Révolution. L'ouvrage permet ainsi de comprendre comment une intense politisation a entraîné de multiples innovations qui ont rejailli sur le quotidien de tous les Parisiens de la capitale.
Les vingt-deux études rassemblées ici en l'honneur d'Élisabeth Mornet suivent les chemins du savoir à l'époque médiévale à travers les institutions, les hommes, les textes et les images. La Scandinavie médiévale est choisie comme champ d'étude spécifique et permet une ouverture sur la culture européenne, celle des laïcs par la littérature, l'écriture de l'histoire, la constitution de bibliothèques et celle des clercs dans le cadre spécifique des universités. La profonde unité culturelle de l'Occident à la fin du Moyen Âge ressort avec évidence des différents thèmes abordés : de l'arrivée des premiers cisterciens en Scandinavie au départ des clercs scandinaves vers les universités créées dans l'Empire ; des différentes constructions hagiographiques, en Islande, en Suède ou en Italie, à la fondation des collèges à Paris ou à Oxford ; de la constitution de nouveaux modèles historiographiques, en France ou en Finlande, aux habitudes culturelles des élites norvégiennes ou françaises. Enfin, ce livre, qui réunit des auteurs venus du Danemark, de Finlande, de France, d'Islande, de Norvège et de Suède, a pour ambition de montrer la richesse des divers modes d'interrogation des sources et de continuer, à la suite des rencontres organisées par Élisabeth Mornet, le fructueux dialogue entre les chercheurs français et nordiques.
L'histoire de la vengeance, du Moyen Âge à la fin de l'époque moderne, restait à écrire. Les dix-huit contributions de cet ouvrage, issues de trois rencontres internationales, traitent des pratiques de la vengeance en étudiant une série de cas pris dans l'Empire, dans le royaume de France, mais aussi en Italie et en Espagne. Tous les groupes sociaux sont concernés, nobles comme non-nobles, paysans et citadins, clercs et laïcs. L'idée a été de comprendre comment et pourquoi, globalement, la vengeance régresse en Occident. Il fallait pour cela interroger les outils théoriques dont dispose l'historien, la notion de « justice privée », qui renvoie à l'idée d'un État détenteur du monopole de la violence légitime, ou celle de « civilisation des moeurs » qui accompagne nécessairement l'idée d'un progrès de l'homme sur ses pulsions agressives. Ces notions volent ici en éclats pour faire place à des explications plus nuancées et sans doute plus justes. L'État peut louer la vengeance tout en la condamnant par bribes, et la vengeance peut se dérober à l'observation ou, au contraire, envahir la documentation au gré des acteurs qui la manipulent pour en faire mémoire. Enfin, si le lien entre honneur et vengeance est ici privilégié, il n'est pas le seul critère d'explication. Car la vengeance se révèle multiforme et, de ce fait, reste difficilement saisissable
Tout au long du xixe siècle, la France a vécu au rythme des insurrections. Qu'elles aient été transformées en révolutions ou qu'elles aient été éteintes, réprimées, trahies, les insurrections ont modelé le rapport à l'histoire en train de s'écrire. Ce livre se propose de reprendre à nouveaux frais une double question dont les enjeux sont profonds : ce que l'insurrection, temps d'ouverture des possibles, espérés ou craints, fait à l'écriture et à la littérature ; ce que la littérature, ses auteurs, ses topiques, fait dans le temps insurrectionnel. Comment les moments insurrectionnels ont-ils redéfini la fonction et le statut d'écrivains comme Jules Vallès, Eugène Sue et Louise Michel, d'un genre comme les mémoires de protagonistes de l'insurrection, d'un médium comme le journal ? Comment les discours littéraire et historien travaillent-ils l'insurrection, au moyen de quelles mises en intrigue, de quelles mises en forme particulières et avec quelle efficacité ? Quelles rencontres peut-on observer, par exemple, entre le Dumas des journaux de 1848, le Hugo des Misérables et le Michelet de l'Histoire de la Révolution française ? Quel sens, enfin, donner aux prises d'écriture anonymes, par lesquelles les acteurs tentent de s'inscrire dans l'histoire ? Historiens et littéraires, à parts égales, ont été invités à répondre à ces questions. Partant de cas d'études qui empruntent tant à la Grande révolution de 1789-1794 qu'aux insurrections de 1848 et à la Commune de Paris, les articles qui composent cet ouvrage montrent qu'il existe bien à cette époque un lien fort entre littérature et insurrection qui doit être repensé.
Les contributions ici réunies en hommage à Claude Gauvard viennent compléter un triptyque éditorial, initié en 2010 : après Un Moyen Âge pour aujourd'hui et Violences souveraines (PUF, 2010), le bouquet d'études rassemblées témoigne de la dette contractée d'une ultime génération de doctorants, tous devenus depuis docteurs en titre. Il s'agit ici d'un acte collectif visant à rendre justice à l'incroyable capacité que Claude Gauvard de « faire jeunesses » du savoir dispensé, à travers l'enseignement et l'encadrement de travaux de recherches de longue durée. Ainsi pourrait-on qualifier un legs intellectuel inestimable : agir pour les autres et leur donner ce qui est inaliénable, soit la passion du savoir et, en l'occurrence, le désir de comprendre la société médiévale dans la profondeur de sa complexité, de ses ambitions morales comme de son rêve de totalité.