Au mythe de la « Renaissance » et aux débats qui s'y attachent, à la figuration célébrée d'un présent fécondé par une restitution des sagesses de l'Antiquité, à l'imaginaire humaniste d'un recommencement, Élisabeth Crouzet-Pavan préfère substituer l'horizon des Renaissances italiennes.
Le pluriel s'impose à ses yeux, parce qu'il existe une autre Renaissance, moins démonstrative que celle des savants et des artistes, mais tout aussi vivante, par laquelle continuent à vivre et à revivre des passés plus ou moins proches.
Les représentations, les mémoires et les actions s'enchâssent et jouent alors les unes avec les autres parce que les temps communiquent sans cesse. C'est un âge du paradoxe qui surgit sous nos yeux : de grandes espérances coexistent avec l'appréhension de l'imminence du Jugement dernier, des rêves enthousiastes d'harmonie voisinent avec l'angoisse du péché, la quête de la beauté est confrontée à la conscience du mal...
Renaissances italiennes, de Milan à Naples, de Florence à Venise, de Rome à Ferrare, invite ainsi le lecteur à déplacer son regard. Et dans cette somme magistrale, Élisabeth Crouzet-Pavan nous guide dans la complexité d'un univers humain qui éprouvait autant un immense amour de la vie qu'une tenace peur de la mort, autant une extraordinaire exaltation créatrice qu'une profonde sensation de finitude...
Torcello, aujourd'hui, est un îlot quasi déserté au nord de la lagune de Venise, une cathédrale, un baptistère, une église et un décor de mosaïques célèbres. Torcello, hier, fut une communauté humaine nombreuse, un paysage de campaniles et de petites maisons, un horizon de vignes, de jardins, de bois...
élisabeth Crouzet-Pavan part à la recherche de ce monde perdu, oublié et abandonné dans les derniers siècles du Moyen âge, à l'époque même où Venise imposait son image providentielle de beauté, de puissance et de richesse. Ce livre est donc l'histoire d'une mort lente, à laquelle se seraient résignés ceux qui la subirent au rythme du flux et du reflux des marées, en se laissant glisser sans drame vers l'irrémédiable.
Cette sortie de l'histoire est aussi assumée par Venise, comme si la disparition de Torcello pouvait permettre à la Sérénissime de conjurer la conscience de sa fragilité, ses fantasmes de déclin, ses angoisses d'engloutissement. Torcello meurt, et Venise demeure seule au milieu des eaux de la lagune, dominante et triomphante.
En exhumant l'obscur destin de Torcello, cet ouvrage met en lumière une dimension capitale, et méconnue, de la création vénitienne.
Faire l'histoire de Venise, c'est retracer l'aventure unique d'une communauté humaine redoutée et conquérante, toujours âpre et dure, parfois haïe et combattue pour ses violen-ces et son orgueil.
Elisabeth Crouzet-Pavan s'attache dans cet ouvrage à expliquer comment, en maîtrisant des espaces proches aussi bien que lointains, en cultivant le mythe d'une élection divine, Venise a pu devenir le centre d'un monde.
Aux temps obscurs et précaires, la ville surgit lentement, au milieu d'une eau saumâtre, protectrice comme une muraille.
Cette ville, par un effort de tous les jours, les hommes ne cessèrent de la construire et de la reconstruire, de l'embellir et de l'orner, de l'aménager et de la préserver, jusqu'à en faire une image de gloire. Sur tous les théâtres de son histoire, Venise triomphante est alors regardée : l'empire maritime et la Terre Ferme qu'elle contrôle et exploite ; le port, le marché et les ateliers où s'affaire une humanité cosmopolite ; les lieux de pouvoir où les élites façonnent l'ordre et la grandeur de la République ; les maisons, les cours, les ruelles où vivent et meurent hommes et femmes.
Ainsi naît Venise, au croisement de l'imaginaire et de l'histoire : imaginaire de fragilité suscitant un intense attachement à la vie et à la puissance, histoire d'une cité dont la longue geste, dans un conscient défi au temps, est demeurée inscrite dans un dernier espace de palais et d'églises...
L'humiliation nous révulse parce que nous la redoutons mais aussi parce que nous nous identifions à l'humilié. Signe d'exclusion, marque d'infamie, elle éveille en nous une douloureuse empathie.
Cette ambivalence, le Moyen âge nous l'a léguée. Dans la société féodale et chevaleresque comme dans celle de l'Antiquité et dans bien d'autres, chacun doit tenir son rang et rien n'est pire que de perdre l'honneur. Mais le monde médiéval adhère profondément à une religion de l'humilité fondée sur une scène d'humiliation, la passion du Christ. Il est ainsi partagé entre deux idéaux contradictoires.
Comment parvient-il à concilier cette contradiction ? Comment considère-t-il Lancelot montant dans sa charrette ? Comment le poète lépreux, que sa maladie, souvent vue comme une punition divine, condamne à l'exclusion et à la honte, se voit-il lui-même ?
à travers récits et poèmes du Moyen âge, Michel Zink déchiffre des attitudes qui éclairent les nôtres et nous renvoient à nos propres contradictions.
Au XIVe et au XVe siècle, les images de la mort et les pratiques rituelles se transforment ; le macabre tourne à l'obsession, les suffrages pour les défunts se multiplient. Cette « crise mélancolique » relève moins de l'expérience traumatisante de la peste que de la découverte d'une solitude nouvelle, ou si l'on veut d'un nouveau rapport au temps, à l'autorité, au monde. L'incertitude où chacun se trouve sur la durée des peines à subir en Purgatoire explique peut-être cette multiplication des dons et des prières et l'étrange comptabilité à laquelle se livrent alors de nombreux fidèles, encouragés par l'Église qui prétend contrôler toute l'économie des relations entre ici-bas et au-delà.S'ils apportent un éclairage nouveau sur l'histoire de la mort, les milliers de testaments étudiés par Jacques Chiffoleau, dans ce livre aujourd'hui classique, font apparaître surtout des mutations religieuses et culturelles essentielles, où le désenchantement mais aussi l'invention ont toute leur place, quand la Renaissance ne succède pas à l'automne du Moyen Âge, mais lui est, en quelque sorte, consubstantielle. Directeur d'études à l'EHESS, Jacques Chiffoleau est spécialiste de l'histoire du christianisme, du droit et des institutions au Moyen Âge.
Le sous-titre importe ici plus que le titre : ce livre n'est pas, en effet, une présentation, après tant d'autres, du XVIe siècle français ; c'est une tentative plus originale pour définir dans ses éléments dominants une histoire des mentalités collectives. L'expérience est faite ici au niveau de la première modernité française : il s'agit de faire revivre le plus exactement, et aussi pleinement qu'il se peut, les Français qui ont vécu "de Colomb à Galilée, de la découverte de la Terre à celle du Ciel" (Michelet). La hardiesse de l'entreprise - qui légitime le mot Essai - se découvre à la simple évocation de son sommaire : des conditions alimentaires de l'existence jusqu'à la mystique et même à la vogue du suicide, tous les comportements humains sont ici passés en revue... Le livre se divise en trois parties : les mesures physiques et psychiques des individus ; les milieux sociaux et leurs enchaînements de solidarités inégalement solides, inégalement efficaces ; enfin, les grands types d'activités humaines vus dans leurs déterminations psychologiques : métiers et divertissements, dépassements - arts, sciences, religions -, évasions, aux formes les plus étranges... En son fond même, cet ouvrage est à la fois un bilan et un programme : état de la question, dans ce domaine de la psychologie collective, trop oublié des historiens, et, en même temps, un plan de recherches à poursuivre, pour aider ce secteur historique à combler son retard par rapport aux secteurs politique et économique, aujourd'hui en plein épanouissement. Par ce double caractère, cet Essai de psychologie historique est bien dans l'esprit de la collection "L'Évolution de l'Humanité".
Guerrier accompli, leader et stratège redoutable, Red Cloud (« Nuage Rouge », 1821-1909), est le seul Indien de l'histoire américaine à avoir remporté une campagne militaire et imposé ses conditions à Washington. À l'apogée de son pouvoir, les Sioux contrôlaient un cinquième du territoire américain et comptaient des milliers de combattants dans leurs rangs. Mais que connaît-on vraiment de son histoire, jusqu'alors restée dans l'ombre ?Né dans l'actuel Nebraska, Red Cloud, orphelin très jeune, connaît une ascension fulgurante au sein d'un peuple qu'il va élever au rang de véritable puissance militaire et politique. Le conflit qu'il mènera entre 1866 et 1868, baptisé « la guerre de Red Cloud », s'achèvera par la défaite des soldats américains, comme un avertissement adressé à Washington : les Indiens des Plaines se battront jusqu'au bout pour défendre leurs terres et leurs traditions.Inspiré par une autobiographie inédite et récemment retrouvée, Sur la terre des Sioux retrace la légende de l'un des plus grands chefs indiens et offre une perspective inédite sur la guerre que les Sioux, dont Crazy Horse et Sitting Bull entre autres, ont menée contre l'envahisseur blanc. « Un récit fascinant, implacable et tristement véridique. » USA Today
Disparue corps et biens au milieu du XVe siècle, Byzance occupe dans l'historiographie une place paradoxale. Face à la lente construction des sociétés occidentales et du monde turco-musulman, elle apparaît comme une Antiquité continuée, à laquelle la chute de Constantinople, en 1453, mit fin. Elle doit en bonne partie ce statut atypique à la conviction des historiens de la période médiévale que la « féodalité » qui caractérisa l'Occident fut l'exclusivité d'une « Europe fille des invasions ».
Remontant à la source de cette interprétation, Évelyne Patlagean propose un réexamen de l'histoire byzantine des IXe-XVe siècles à la lumière du livre fondateur de Marc Bloch La Société féodale. L'entourage impérial, le milieu aristocratique, l'appareil d'État sont ainsi analysés du point de vue des liens familiaux et sociaux, des engagements de fidélité et de l'organisation des pouvoirs.
La société byzantine apparaît alors sous un jour nouveau, comme une composante à part entière du monde médiéval. Le « Moyen Âge grec » révélé par ce livre redonne sa place à Byzance dans la lente gestation des structures sociales et des pouvoirs issus de la société antique, et fait sortir l'Empire d'Orient de l'obscurité où la cantonnent trop souvent encore les historiens du monde occidental.
« Un livre essentiel qui, en brisant les clivages académiques artificiels, aide à comprendre aussi bien Byzance que l'Occident [...]. Un de ces livres rares qui, par une largeur de vue appuyée sur des enquêtes d'une infinie précision, renouvellent les perspectives, remettent en cause les convictions les mieux établies et obligent à rouvrir les dossiers qu'on croyait clos. Une bouffée d'air frais, en quelque sorte. » Maurice Sartre, Le Monde des livres.
Les Croisades, qui déferlèrent sur l'Europe et le Proche-Orient à partir de la fin du XIe siècle, épargnèrent rarement les communautés juives qu'elles rencontrèrent sur leur chemin. Exposées sans défense aux attaques incessantes des Croisades populaires et de la population des villes naissantes, elles ne purent pas toujours compter sur le soutien de l'Église et des grands féodaux pour les sauver de la mort ou de la conversion forcée. Les persécutions sanglantes dont elles eurent à souffrir creusèrent encore davantage le fossé qui les séparait, et favorisa l'apparition parmi les Juifs d'une idéologie nouvelle : celle du martyre librement consenti.
Rassemblant des textes épars, introuvables et inédits, qui forment un ensemble cohérent et structuré, ce livre est une traversée du siècle, qui n'est ni fronts idéologiques opposés, ni même styles adversaires, mais plutôt rythmes variés. Autrement dit, Sade et Rousseau y reviennent souvent...
Un recueil de textes enlevés, écrits d'une main virtuose, sur des thèmes qui sont aussi de notre époque : la séduction, l'inconséquence, la solitude, mais aussi le plaisir et les pleurs. Chérubin voisine avec Casanova, Watteau tend la main à Fragonard, et l'ombre de Sade, auteur noir et paradoxal s'il en fut, plane sur des pages propres à séduire et enseigner tout honnête homme.
Un manifeste de légèreté et de profondeur.
Ce livre raconte l'aventure singulière des hommes qui, quelques décennies durant, furent rois dans une Jérusalem redevenue chrétienne.
Après Godefroy de Bouillon, le duc qui ne fut pas roi, vinrent Baudouin Ier, Baudouin II et leurs successeurs, avant Baudouin IV, le roi lépreux, et BaudouinV, l'enfant roi.
Les chroniques du temps ont servi de guide à l'enquête. Comment les événements de la prise de Jérusalem et de la création du royaume latin furent-ils relatés ?
Comment les chroniqueurs fabriquèrent-ils une trame historique qui est moins une « vérité » que leur vérité ?
En quoi cette vérité informe-t-elle des tensions et des contradictions, des attentes et des angoisses inhérentes à la croisade?
Une question hante en effet les récits des débuts du royaume de Jérusalem : comment un homme pouvait-il régner dans une ville qui était le patrimoine du Christ?
Quand cette question est résolue ou oubliée, il revient aux chroniqueurs de faire revivre une espérance immense, qui sombre lorsque Jérusalem, conquise par les croisés en 1099, est reprise par Saladin en 1187.
Dans cette magistrale étude, Élisabeth Crouzet-Pavan met en scène la confrontation à la transcendance des hommes du XIIe siècle, acteurs et historiens : une histoire parcourue par le mystère irréductible de l'histoire elle-même.
Dès sa naissance, la raison d'Etat eut à voir avec la censure ; la congrégation de l'Index était chargée d'établir la liste des livres prohibés. Bien que celle-ci ait interdit en 1596 la publication et la lecture de tout livre sur ce sujet, on vit alors se multiplier les ouvrages révélant au public les secrets du pouvoir, que ce soit pour en faire la théorie, en justifier ou en critiquer les pratiques. Naquit alors un genre littéraire, dont les auteurs pouvaient être des gouvernants, comme Richelieu, des opposants, comme Machiavel, voire à la fois des familiers du pouvoir et des opposants, comme Gabriel Naudé. Travaillant l'ambigüité d'une notion à la fois interdite et proclamée, le livre de Laurie Catteeuw cherche dans le lien qui unit raison d'Etat et censure l'une des raisons d'être de la politique moderne.Son enquête, partant d'oeuvres emblématiques, comme celle de Machiavel, condamnée dès le premier Index, met en lumière la construction de la notion dans l'Europe moderne. Née de la mise en cause de la raison d'Église, durant les guerres de Religion et de l'affirmation de l'autorité politique, la raison d'État se révèle sur la place publique une notion aux visages multiples et aux définitions volontiers contradictoires. L'une d'elles définie en référence au modèle du census romain, intègre au dénombrement des citoyens le contrôle de leurs moeurs ; une autre renvoie à l'exercice d'un jugement critique en matière politique ; la dernière, censure d'Église ou censure d'État, alors en voie de formation, vise la condamnation de certains ouvrages, et l'exercice d'un contrôle officiel des publications.Par son ambigüité et la variété de ses applications, la raison d'État fut un puissant outil dans le processus de constitution d'une opinion publique. L'enquête de Laurie Catteeuw va à l'encontre des idées reçues et montre que la raison d'État ne fut pas seulement l'instrument du pouvoir absolu ; à sa naissance participèrent aussi les opposants à ses pouvoirs, libertins et auteurs de libelles diffamatoires.
Si, depuis la fin du XVe siècle, l'horizon des Européens s'est élargi à l'Ouest, l'Eglise, de son côté, a ouvert les portes de son paradis aux Amérindiens. On peut même dire qu'elle leur en indique sérieusement le chemin. On rencontre, à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, des manuels de confession à l'usage des Indiens dans les zones d'évangélisation espagnole. Ces livres naissent au moment où s'organise la conquête spirituelle du Nouveau Monde, une fois apaisé le désordre des premiers contacts.
Les interrogatoires pénitentiels livrent des données sur une réalité indigène déformée par la grille d'interprétation que constitue un classement des péchés selon l'ordre du décalogue. Ils distillent le code moral de l'Ancien Monde adapté à des civilisations plus ou moins bien comprises. En interrogeant l'image des Indiens véhiculée par ces textes, intériorisée par la conscience chrétienne jusqu'à nos jours, ce livre nous permet d'évaluer les modalités d'une évangélisation que bien des voix contestent aujourd'hui.
Martine Azoulai est historienne et journaliste. Membre du laboratoire d'ethno-histoire du CNRS, elle partage son temps entre ses recherches et ses collaborations à divers magazines français.
Dans les années 1830, l'Inde s'émeut des agissements d'un groupe de criminels appelés Thugs qui, au nom de la déesse Kali, répandent la terreur en étranglant des voyageurs dans une sorte de rituel sacrificiel. Point de départ d'une répression brutale, dont sera chargé William Sleeman, haut responsable de l'administration coloniale anglaise, ces événements sanglants marqueront également la naissance d'un imaginaire de l'horreur.
Au-delà de la réalité, les Thugs, organisés en secte religieuse aux règles précises, profondément inscrits dans le système des castes, vont devenir un mythe qui hantera l'Angleterre victorienne ' en particulier avec la publication du livre fameux de Meadows Taylor, Confessions d'un Thug ' et jusqu'à notre époque, à travers le cinéma.
Dévoilant peu à peu leur identité grâce à la traque minutieuse de leur code linguistique et de leur vision du monde, Martine van Woerkens, indianiste et membre de l'École Pratique des Hautes Études, se livre ici à une fine analyse qui associe pour la première fois la vérité historique, le fantasmatique et le développement du mythe à travers littérature et cinéma. Il s'avère alors que la diabolisation des Thugs et leur procès, à l'instar des affaires de sorcellerie aux XVIe et XVIIe siècles, masque la grande peur d'un Occident encore dominateur, mais plus tout à fait sûr de sa suprématie.
Le Problème de l'incroyance est un magnifique livre sur Rabelais, un extraordinaire effort pour faire revivre sa « singulière vitalité ». Mais c'est surtout un décisif discours de la méthode historique, dans la mesure où il ne veut pas raconter qu'un Rabelais possible, participant d'un temps difficile où la curiosité des hommes était immense, les enthousiasmant et les inquiétant tout à la fois, mais engageant certains d'entre eux dans la voie d'un humanisme érasmien combattant pour défendre, contre le « sacrilège » de l'anachronisme qui nie l'autre comme différence, la liberté de Rabelais d'avoir eu sa vérité, en son temps et en son âme.
En publiant ce livre durant les jours sombres de 1942, Lucien Febvre n'était-il pas animé de la même confiance dans la puissance de l'intelligence que celle qui fit inscrire à Rabelais, sur la grande porte de Thélème, les mots interdisant l'entrée aux « hypocrites, bigots, vieux matagots, marmiteux, boursouflés... » ? Ne voulut-il pas écrire un livre à « plus hault sens », un message d'espérance dans l'avenir de l'histoire ?
À la traditionnelle relation filiale établie entre judaïsme et christianisme, Israel J. Yuval propose de substituer une relation de fratrie et de concurrence, dont le symbole biblique serait le couple de jumeaux Jacob et Ésaü, fils ennemis de Rébecca, à laquelle l'Éternel avait annoncé : « Il y a deux nations dans ton sein ; deux peuples, issus de tes entrailles, se sépareront. Un peuple sera plus fort que l'autre et l'aîné servira le cadet. » (Genèse 25,23.)
Dans cette perspective, Isarel J. Yuval renouvelle en profondeur la perception des relations entre Juifs et Chrétiens au Moyen Âge. Loin de former deux univers étanches, les « frères ennemis » possédaient une subtile connaissance l'un de l'autre, fondée sur la proximité dialectique, la familiarité avec les catégories théologiques de l'adversaire et sur de constants renversements mutuels d'images, de symboles, de rituels et de pratiques.
« Deux peuples en ton sein » s'attarde particulièrement sur les trois couples conceptuels qui se trouvent au coeur de la controverse entre Juifs et Chrétiens : Jacob et Ésaü, Pessah et Pâques, la sanctification du Nom et l'accusation de crime rituel.
À l'écart de tout parti pris et de toute provocation, cet ouvrage est de nature à bouleverser plus d'une idée reçue sur l'histoire des Juifs comme sur celle des Chrétiens.Professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, Israel Jacob Yuval est un historien renommé du judaïsme médiéval ainsi que le directeur scientifique du Mandel Institute of Jewish Studies.
Saint Jean au pied du calvaire, soutenant la Vierge pâmée dans la majesté de sa douleur. Tel est le modèle que Robert d'Arbrissel, dans l'ordre qu'il fonde en 1101 à Fontevraud, donne à ses frères pour servir leurs soeurs, les fiancées du Christ. Fontevraud fait rêver. Pourtant, comme l'écrit Georges Duby, Robert d'Arbrissel est « un personnage étrange à nos yeux, étrange aux yeux de ses contemporains ». À cet homme qui a vécu, parlé, « marché sans cesse, sur les chemins, dans la forêt de Bretagne, du Maine, de l'Anjou, au tournant des XIe et XIIe siècles, dans une époque de pleine ébullition culturelle, des problèmes se posaient, analogues à ceux qui aujourd'hui nous préoccupent : comment se tenir face au pouvoir, face à l'argent, face aux mystères de l'univers ? Face aux désirs ? Comment les hommes doivent-ils traiter les femmes ? À ces questions, Robert donna des réponses violentes, dérangeantes. Les évêques parlaient de lui comme d'un fou, d'un obsédé. Des disciples en effet s'attachaient toujours plus nombreux à ses pas, et dans cette suite de femmes, de ces épouses de prêtres que la réforme du clergé jetait sur le pavé, de ces épouses de princes, répudiées, bafouées, des femmes éperdues, attendant la lumière, coudoyaient les hommes le jour, la nuit : scandale. Robert fini par fonder l'abbaye de Fontevraud. Les religieux se trouvaient ici subordonnés aux religieuses. Autre scandale... »
C'est à partir de textes inédits que l'auteur restitue ainsi à travers la vie exemplaire de Robert d'Arbrissel, les débuts de la vie monastique et de la spiritualité au Moyen Âge.
Jacques Dalarun, agrégé d'histoire, est Directeur de recherche à l'IRHT (Institut de Recherche et d'Histoire des Textes).
Triomphante au temps de Louis XIV, la censure, sous le règne de Louis XV, est soumise à une situation paradoxale. Les autorités royales, parlementaires et ecclésiastiques affichent une volonté toujours plus ferme de réprimer la sédition, l'immoralité et l'hérésie ; pourtant, elles ne se donnent pas vraiment les moyens d'un contrôle efficace. Cette inefficacité apparente serait-elle le prix politique à payer pour le maintien des structures d'Ancien Régime ? La censure ne reflète-t-elle pas le conflit qui oppose les parlements au roi ?
C'est cette problématique que Barbara de Negroni, philosophe et spécialiste du XVIIIe siècle, a voulu éclairer en explorant la culture des censeurs et les objectifs qu'ils s'assignent. Son livre, centré sur les actes de condamnation eux-mêmes, sur leur rhétorique et sur leur théâtralisation, rend à la censure toute sa complexité. Dans cette époque qui revendique la liberté de pensée, la censure prise dans des enjeux de pouvoir qui transforme sa nature, va contribuer ' et ce n'est pas le moindre des paradoxes ' à la naissance de ce qu'on appellera désormais l'opinion publique.
Le 15 juillet 1099, au cri de "Dieu le veut !", Godefroy de Bouillon conquiert Jérusalem. Il aura fallu mille jours d'une impitoyable "guerre sainte" pour que s'achève la première croisade. Elle laissera derrière elle des milliers de morts et estampillera le calendrier musulman du sceau chrétien pour les deux siècles à venir.
Claude Rappe raconte ici cette extraordinaire épopée. Historien passionné et dramaturge, il brosse le fascinant portrait de ce futur "avoué du Saint-Sépulcre" qui n'a pas encore quarante ans et qui, par amour pour une princesse byzantine va franchir les portes de l'Orient, accompagné de quelques milliers de "fous de Dieu". Ensemble, ils défieront les puissantes armées turques, arabes et fatimides et viendront à bout des traîtrises de l'orthodoxe Byzance et de l'Eglise romaine. Cruelle descente aux enfers pour ces hommes qui, croyant servir Dieu, deviendront les suppôts du Mal.
Du xie au xiiie siècle, l’Europe connut une phase sans égale de croissance et de développement. C’est alors que furent créés les paysages qui sont encore ceux de nos campagnes. Plus que le temps des chevaliers et des seigneurs ou des moines et des prêtres, ce temps fut celui des laboureurs et des vilains, dont le travail seul fut à l’origine de cette prospérité. Pour un temps, la société reconnut sa dette à l’égard de l’ordre des paysans, donnant à leurs peines valeur d’engagement mystique et d’accomplissement spirituel. Ce livre examine les conditions sociales et économiques de ce processus, et montre que les travailleurs des campagnes ne furent pas seulement la main-d’œuvre de la société seigneuriale mais aussi, et peut-être surtout, les acteurs de ce changement, qu’ils voulurent et dont ils tirèrent profit. Épris d’ordre et prêts à la révolte, unis sous les figures d’Adam, cultivateur du Paradis, et du Laboureur, dont la silhouette pacifique traverse alors toute la littérature européenne, les paysans furent à l’origine d’un développement véritablement durable. Construit avec leurs mots, ce livre leur rend la parole.Dans cet ouvrage novateur, Mathieu Arnoux propose autant une recherche sur un lointain épisode de l’histoire économique de l’Europe qu’une enquête sur une figure idéologique du travail, dont bien des éléments restent aujourd’hui identifiables dans la culture européenne.
Au début du XVIIIe siècle, le jansénisme a pris l’aspect d’une opposition religieuse et politique, et est suffisamment répandu pour inquiéter aussi bien Louis XIV que le pape. La bulle Unigenitus, édictée en 1713 par Clément XI, quatre années seulement après la destruction du monastère de Port-Royal, est destinée à éradiquer le mouvement. Pourtant, tout au long du siècle des Lumières, les résistances se font ardentes. La doctrine gagne une bonne partie des élites marchandes et des notables, rassemblant les fidèles autour des miracles du diacre Paris, créant de multiples réseaux, sur des bases qui ne suivent pas tout à fait la hiérarchie sociale. Son originalité est de fournir aux aspirations d’une bourgeoisie montante un terrain d’opposition qui l’aide à trouver cohérence et identité. Revenant sur cet aspect trop longtemps négligé du dossier janséniste, Nicolas Lyon-Caen s’interroge sur le lien entre la fidélité aux thèses jansénistes et l’appartenance à la bourgeoisie parisienne. À partir entre autres du fonctionnement de la « boîte à Perrette », sorte de caisse de secours clandestine au service des militants, cette enquête, fondée sur une documentation immense, met en lumière les pratiques sociales, économiques, politiques qui donnèrent sa cohérence au groupe. Renouvelant radicalement un sujet que l’on croyait bien connu, ce livre marque une étape dans l’exploration d’une question historiographique majeure et dans la défense d’une sociologie historique du fait religieux.
Il m'a semblé qu'il valait mieux pour la clarté de l'exposé grouper dans une première partie, que j'intitule La francisation de l'Europe, les faits, les témoignages qui prouvent l'hégémonie française dans tous les domaines de l'intelligence : langue, littérature, art. La seconde partie sera consacrée à la recherche des causes de cette conquête spirituelle, la troisième à l'étude de la réaction plus ou moins explosive des nationalismes humiliés qui, en attendant de s'émanciper de toute tutelle étrangère, se précipitent de la gallomanie dans l'anglomanie.
Au-delà des scènes de processions d'hommes en cagoules et de toute une imagerie folklorisée à laquelle renvoient les confréries, les historiens découvrent aujourd'hui mieux l'importance de ces sociétés fraternelles pour l'époque médiévale. L'homme seul n'a pas de place dans le monde du Moyen Âge. Il s'insère dans la cité par l'intermédiaire de divers groupes familiaux, professionnels ou territoriaux. Pourquoi à partir du XIe siècle la confrérie s'est-elle ajoutée à tous ces réseaux ? Catherine Vincent, maître de conférences à Paris 1, montre que, fruit d'une adhésion volontaire, elle répond à des besoins nouveaux de solidarité face aux bouleversements des structures sociales, de renouvellement de l'esprit évangélique, d'affirmation de l'individu. En prenant appui sur le schéma-type d'une confrérie, l'auteur parvient à éclairer les raisons de l'étonnant succès que connaît ce mode de sociabilité surtout entre le XIIIe et le XVe siècle, et à saisir ce qui singularise ces compagnies parmi les autres formes de vie associative dont le Moyen Âge fut riche. Ce livre, qui rassemble les matériaux les plus neufs d'une recherche en plein essor, constitue un véritable « essai introductif au monde confraternel médiéval ».
Le 25 août 1270, Louis IX meurt devant Carthage. Le lent et solennel convoi funèbre qui ramène jusqu'à Saint-Denis les ossements du saint Roi semble présager, avec ses étapes tragiques, l'assombrissement qui va suivre. Et curieusement le déclin des mentalités précède les grandes catastrophes dont sera victime, au cours du XIVe siècle, le royaume de France. S'il est un temps en effet pour lequel on peut employer sans crainte d'exagération les termes trop souvent galvaudés de mutation, d'évolution, de tournant de l'Histoire, c'est bien celui qui suit immédiatement le règne de Saint Louis. À une époque lumineuse, celle que peuvent symboliser pour nous les vitraux de la Sainte-Chapelle, succède un long et angoissant crépuscule.
Ce déclin touche le régime même de la féodalité et les usages régissant alors les relations des hommes entre eux et avec la terre qui les fait vivre; il frappe aussi les fondements de la pensée ou de l'expression artistique. Des changements profonds s'amorcent qui transformeront le visage de l'Occident.
Peut-être un sommet avait-il été atteint, après lequel le déclin était inévitable ? C'est en tout cas l'occasion de constater à quel point sont impliqués et indissolublement liés dans l'Histoire l'homme et l'événement.
Régine Pernoud, conservateur honoraire aux Archives Nationales, a fait paraître sur le Moyen Age de très nombreux ouvrages qui font autorité : Vie et mort de Jeanne d'Arc, Les Croisades, Aliénor d'Aquitaine, La Reine Blanche, Pour en finir avec le Moyen Age, La Femme au temps des cathédrales.