Dieu en ses royaumes évoque les affrontements religieux dans la France des années 1490-1610 en racontant une histoire saturée d'angoisses et de rêves.Au commencement, il y eut le tragique d'une grande peur de la damnation face à un Dieu toujours plus distant et menaçant. La fin des Temps approchait et chacun se devait de se préparer au face-à-face avec le Christ,dans la pénitence, la prière et une obsession de pureté exigeant l'éradication violente de tous ceux qui attisaient par leur impiété ou leur hérésie la fureur divine. En contrepoint de ce noircissement culpabilisant du monde humain, Calvin proposa au fidèle une voie alternative et libératoire qui supprimait l'angoisse du salut en portant le fidèle à vivre dans une « bonne crainte » de Dieu. Au plus profond des guerres de Religion qui opposèrent « papistes » et « huguenots », ou plutôt au coeur même de la dynamique des fixations confessionnelles, s'installait la violence d'un conflit entre hantise eschatologique et désangoissement : deux royaumes de Dieu s'affrontaient. Dans le cours de cette histoire saccadée, le centre de gravité dramatique se déplaça : le pouvoir monarchique tenta d'entraver la crise en fixant dans la personne royale la mission messianique d'établissement d'un ordre de paix transcendant le jeu mortifère des imaginaires. Dieu en ses royaumes raconte alors l'histoire d'un second grand conflit, opposant les rêves apocalyptiques et violents des catholiques intransigeants à l'utopie de modération d'un roi Christ luttant contre les passions de ses sujets, une modération dont les grandes figures furent Michel de l'Hospital, Catherine de Médicis, Charles IX et son frère Henri III. C'est à la monarchie d'Henri IV qu'il revint de clore cette tragédie par le truchement d'un autre jeu de symbolisation. L'Histoire fut alors érigée, à travers la figure d'un roi providentiel guidant ses sujets vers un nouvel âge d'or, en une instance de résorption des angoisses et des peurs eschatologiques.
Le 14 mai 1610, à quelques centaines de mètres du Louvre, rue de la Ferronnerie, Henri IV est poignardé dans son carrosse, victime des coups de couteau portés par François Ravaillac. L'assassinat plonge aussitôt les habitants dans une grande peur, perceptible dans les décisions politiques et militaires des municipalités qui placent leurs villes en état de siège, palpable dans le huis clos des livres de raison où les auteurs laissent sourdre leur inquiétude extrême du temps présent. La Grande Peur dure quatre à cinq semaines. Elle suscite une poussière de troubles en province, avant de refluer et de s'évanouir, contenue grâce aux décisions du pouvoir royal, des magistrats urbains et royaux et des citoyens, qui tous manifestent leur attachement à la tolérance civile et aux édits de pacification. Car le pays a fait le choix de la paix civile. Un choix de raison qui suggère l'adhésion des Français au processus d'une pacification encore fragile, une dizaine d'années à peine après la fin officielle des troubles civils et religieux qui ensanglantèrent la seconde moitié du XVIe siècle. Aucune étude n'avait encore envisagé le retentissement de l'événement à l'échelle du royaume et auprès des Français. Fondé sur une documentation archivistique considérable et en partie inédite, ce livre propose pour la première fois une vision panoptique de la circulation de la nouvelle dans le pays ; il analyse les modalités de sa transformation en une information politique et l'impact de sa connaissance auprès de la population ; il dévoile le rôle fondamental des médiateurs locaux du politique, qui usent de leur position stratégique entre le pouvoir royal, curial, central, parisien, et les communautés citadines du royaume, pour retenir l'information, la manipuler, voire la travestir au moment de sa publication. De nombreuses cartes de la circulation de la nouvelle dans le royaume, des pièces d'archives éclairent le retentissement d'un assassinat devenu à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle un thème de la peinture romantique, et qui ne cesse encore, aujourd'hui, de susciter interrogations, controverses et débats.
Comment l'exercice du gouvernement a-t-il évolué du temps de François Ier à celui de Louis XIII ? Comment le monarque a-t-il répondu aux défis posés par l'essor du protestantisme ? La restauration de l'ordre public pouvait-elle obliger le Roi Très-Chrétien à renoncer à supporter l'altérité confessionnelle ? Le pouvoir du souverain pouvait-il être pensé autrement que comme une forme supérieure de gouvernement des âmes ? Dans un contexte de crise, le prince devait-il toujours se soumettre aux impératifs moraux traditionnels, ou pouvait-il se considérer investi par Dieu d'une autorité extraordinaire qui l'autorisait à recourir à des formes exceptionnelles de gouvernement ? Telles sont les questions soulevées par ce livre. Pour y répondre, Nicolas Le Roux étudie les différentes conceptions du pouvoir qui avaient cours en ce siècle de drames et de violences que fut le xvie siècle. Il se penche sur la dimension exécutive du pouvoir royal, en cherchant à comprendre dans quelles conditions le souverain exerçait sa fonction de chef d'État. Il analyse la genèse de la société de cour moderne, en étudiant le fonctionnement de la Maison du roi, les transformations des résidences princières et les mesures prises pour exalter la puissance du souverain. Il examine les grandes cérémonies royales, les rituels religieux et les fêtes profanes qui rythmaient la vie de la cour. Nicolas Le Roux cherche à comprendre comment les monarques et les reines ont tenté de rétablir l'ordre public au moment du schisme religieux. Il s'interroge sur les motivations profondes de Catherine de Médicis et de ses fils, Charles IX et Henri III qui, par différents moyens, ont essayé de reconstruire la paix, parfois par les armes, parfois par la tolérance. Il s'interroge enfin sur les conséquences de la crise de succession qui a mis fin à la dynastie des Valois et fait monter Henri IV sur le trône.
Ce livre révèle un pan méconnu de la culture du premier XVIIe siècle : la part de Byzance dans l'univers mental et intellectuel des lettrés et des savants, et cela à partir d'une étude de cas, celle d'un érudit dont le portrait se dessine, par petites touches, au fil des pages et des chapitres. Il s'agit d'un homme à la personnalité aussi originale qu'attachante : Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, qui n'eut que la culture pour épouse. Peiresc fut, en effet, tout à la fois historien, bibliophile, lettré, érudit, collectionneur, ou « amateur » déjà quasi encyclopédique, tel qu'au XVIIIe siècle on l'entendra. Bref, un homme qui veut « savoir tout sur tout », « abrégé de toutes les curiosités du monde », comme le qualifie Rubens. Et c'est aussi, et peut-être avant tout, un extraordinaire passeur de culture, qui transcende toutes les frontières y compris les frontières religieuses.L'originalité ici a été de faire revivre ce lettré à partir d'une bibliothèque, mais non pas une bibliothèque morte, figée, à l'image de la liste - impressionnante - de 4 000 livres (sur les 5 000 qu'il possédait sans doute), dont plus d'une centaine de manuscrits, mais une bibliothèque vivante, une bibliothèque en action. Ainsi sont reconstituées, au quotidien, la vie et la pratique d'un savant dans la première moitié du XVIIe siècle.
Assiste-t-on, autour de 1830, à la première révolution européenne ?De la France à la Belgique, de la Pologne à l'Italie centrale, des États allemands à la Suisse, une bonne partie de l'Europe connaît une impressionnante série de mouvements insurrectionnels et révolutionnaires, inégalement achevés. Rarement pensés ensemble, ces mouvements font ici l'objet d'une approche inédite.Ce livre collectif propose de confronter des historiographies nationales jusque-là cloisonnées (française, belge, polonaise, italienne, allemande, suisse, britannique, espagnole). À l'heure de l'histoire globale, il s'efforce de penser des circulations révolutionnaires, d'exhumer des mobilisations transnationales, sans négliger les échecs et les tensions sociopolitiques à l'oeuvre. Rompant alors avec la linéarité d'une histoire qui glisserait insensiblement d'une révolution à l'autre (1789-1830-1848), il permet d'interroger les sens perdus de ce « moment 1830 ». Les circulations humaines, symboliques et politiques décrites ici ont créé les conditions de possibilité d'un nouvel imaginaire de l'Europe des peuples. Ce nouvel imaginaire s'est pourtant heurté à une glaciation rapide du processus révolutionnaire.Autant de questions d'une stimulante actualité à l'heure des révolutions arabes.Textes de Sylvie APRILE, Arianna ARISI ROTA, Anna BARANSKA, Fabrice BENSIMON, Walter BRUYÈRE-OSTELLS, Jean-Claude CARON, Delphine DIAZ, Emmanuel FUREIX, Irène HERRMANN, Nathalie JAKOBOWICZ, François JARRIGE, Jean-Philippe LUIS, Marco MERIGGI, Julia A. SCHMIDT-FUNKE, Els WITTE.
Ce livre propose une approche nouvelle des conquêtes napoléoniennes et porte l'accent sur l'autre armée de Napoléon, celle de ses fonctionnaires. En effet, l'expansion territoriale sans précédent de la France républicaine et impériale, redoublée par la crue de l'État né de la Révolution, porte en elle des défis majeurs pour les agents du pouvoir en poste dans les départements annexés. Dans un contexte d'opérations militaires, d'occupation française et d'imposition d'un nouvel ordre social et politique, les objectifs ambitieux (compter et prélever, informer le pouvoir et les populations, contrôler et surveiller, rallier et récompenser, réprime et punir... ) suppose un puissant effort de recrutement de personnel de tout rang. Or ce recrutement massif s'annonce délicat puisqu'il doit concilier des exigences contradictoires (loyauté politique et compétence professionnelle, expérience du terrain local et connaissance des lois de la métropole, invention de nouvelles manières d'administrer et nécessité de s'appuyer sur les pratiques antérieures). La diffusion des fondements et règlements du Nouveau Régime dans les départements réunis, face à des populations rétives, met ainsi à nu les ambiguïtés de la dynamique impériale.
A l'image de la Régence, période longtemps réduite à une époque de libertinage et de corruption des moeurs, suspendue entre l'imposant siècle de Louis XIV qui s'achève et le non moins imposant siècle des Lumières qui commence, la polysynodie ou gouvernement par conseils, mis en place par Philippe D'Orléans en 1715, est souvent présentée comme une vaine réforme qui ne suscita que désordre et embarras dans l'administration. Pourtant, de son fonctionnement, nous n'avons qu'une connaissance superficielle. C'est ce vide historiographique que cet ouvrage entend combler, en démontant la mécanique de cet édifice institutionnel et en revenant sur les circonstances de sa création et les motifs de sa suppression. Réflexion sur le fonctionnement de la Monarchie et sur l'activité au quotidien des conseils du Roi, analyse des rouages et des mécanismes de la gestion administrative du royaume, essai sur la vie politique des premières années de la Régence, une Régence absolue bien éloignée des clichés qui lui sont souvent accolés, ce livre résolument novateur apporte un éclairage nouveau sur les arcanes de l'État moderne.Suivi d'un Dictionnaire de la polysynodie.
Cet imposant ouvrage en deux volets comprend d'abord un essai consacré à la police parisienne au temps des Lumières, inscrit dans les tendances les plus récentes de l'historiographie policière. Il propose un regard neuf et nuancé sur cette institution et sur ses transformations entre la fin du XVIIe siècle et la Révolution française. Cet essai est notamment nourri par la lecture critique des Mémoires de Lenoir, ancien Lieutenant général de police, en charge pendant la première décennie du règne de Louis XVI (1774-1785). Le second volet de cet ouvrage en propose, pour la première fois, la transcription et l'édition annotée.Ces « Mémoires » souvent cités, utilisés ponctuellement, sont toutefois demeurés inédits jusqu'alors et n'ont jamais été donnés à lire dans leur intégralité. Ils constituent une sorte de monument inachevé, érigé en défense de la police parisienne de l'Ancien Régime, souvent considérée comme un modèle à l'échelle de l'Europe mais lourdement critiquee alors que s'ouvre la Révolution. Lenoir s'y montre à la fois mémorialiste témoignant de son activité passée et la justifiant face à la postérité, et homme d'expérience qui réfléchit sur les conceptions et les pratiques de la police.Ces mémoires représentent également une source magnifique sur l'histoire de Paris, un vivier pour l'histoire administrative et l'histoire de la police, à une époque où les projets réformateurs abondent. La publication est assortie d'un catalogue du manuscrit qui est inédit.
Amazones glorieuses, intrigantes perverses : que n'a-t-on dit et écrit de la Grande Mademoiselle ou de la duchesse de Chevreuse ? Mazarin lui-même se serait exclamé en 1651 : « Plus jamais je ne me fierai à des putane », comme si « putains » et « dames » étaient synonymes ! Sophie Vergnes balaie tous ces stéréotypes et ces préjugés pour nous offrir la première histoire de la Fronde (1648-1653) écrite au féminin ; une Fronde élargie chronologiquement, de 1643 - une femme, Anne d'Autriche, arrive à la tête de l'État - jusqu'à la prise de pouvoir de Louis XIV en 1661, quand triomphe un ordre absolu qui est aussi, très largement, un ordre masculin. En ce milieu du XVIIe siècle, les femmes entrent bel et bien en politique et se métamorphosent en combattantes : la duchesse de Longueville, soeur du Grand Condé, se comporte comme un véritable chef de guerre, nouant des alliances avec l'étranger et n'hésitant pas à s'exposer aux mousquetades à Bordeaux ; quant à la Grande Mademoiselle, elle ordonne le fameux coup de canon du haut de la Bastille contre les troupes royales en juillet 1652. Les Frondeuses jouent aussi un rôle majeur comme médiatrices et négociatrices. Elles se révèlent alors de véritables professionnelles de l'intrigue, expertes en pratique du secret, du double langage, des allégeances multiples et contradictoires, du travestissement et de la correspondance clandestine. Avec ces quinze portraits de Frondeuses en action, Sophie Vergnes réécrit l'histoire de ce mitan effervescent du Grand Siècle et nous démontre que le devoir de révolte se décline aussi au féminin, avant que Louis XIV n'impose, avec l'ordre royal restauré, la soumission à la toute-puissance masculine ou la retraite religieuse. Alors, nombre d'anciennes Frondeuses se convertissent au jansénisme mais c'est un autre moyen pour elles de marquer leur différence et leur liberté.
Cet ouvrage aborde d'un point de vue original la période de la « crise de la conscience européenne » et son prolongement jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Il prend comme fil conducteur l'émergence d'une conception laïque et matérielle de l'être humain, problématique au coeur d'aspects clés des Lumières. En suivant les différents moments du débat autour de l'âme humaine - qui touche au fondement de la doctrine chrétienne -, il étudie les polémiques théologico-politiques de cette période dans lesquelles s'insère ce débat.La première partie, consacrée à l'Angleterre après la Glorieuse Révolution, analyse les luttes idéologiques et religieuses de la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, ainsi que le contexte philosophique et scientifique, avant d'étudier en profondeur la controverse sur Dieu, l'âme et la nature humaine. La deuxième partie, qui traite des « premières Lumières » françaises, suit d'abord les échos des controverses anglaises transmis par les passeurs huguenots, avant d'analyser la spéculation scientifique et philosophique en France dans la première moitié du XVIIIe siècle, montrant comment ces courants ont nourri la pensée matérialiste.Cette histoire transnationale, qui permet de comprendre les limites d'une histoire des idées cherchant à isoler un courant irréligieux cohérent culminant dans le matérialisme français du XVIIIe siècle, étudie aussi comment ce débat a nourri « l'histoire naturelle de l'homme » de la deuxième moitié du siècle ainsi que le courant matérialiste qui s'affirma à partir de 1760.En soulignant le rôle joué non seulement par les polémiques théologiques protestantes mais également par la recherche médicale, cette analyse permet de relativiser certaines interprétations des « Lumières radicales ».
Cet ouvrage fait revivre un quartier important, turbulent et méconnu du Paris au temps de Robespierre : sur la rive gauche de la Seine, avec ses 65 000 habitants, le faubourg Saint-Marcel, siège de la célèbre manufacture des Gobelins, espace d'artisanat, mais aussi de misère et de pauvreté, fut un formidable centre d'agitation et de mobilisation révolutionnaire.L'exploitation systématique et minutieuse de sources souvent inédites permet la restitution des sociabilités et des comportements politiques vécus au quotidien, depuis la crise finale de l'Ancien Régime jusqu'aux jours les plus sombres de la Terreur.Magistral modèle de « micro-histoire », l'ouvrage monumental de Haim Burstin nous donne a voir les rythmes et les pulsations d'une révolution saisie sur le vif ; elle s'inscrit au coeur de la société des plus humbles, artisans, compagnons, manoeuvres, gagne-deniers, qui ont accès pour la première fois a la citoyenneté et font ainsi leurs premiers pas dans le militantisme. n entendra ainsi les voix éclatées d'une société en révolution qui invente, jour après jour, des formes inédites d'expression et d'action politique.Depuis longtemps délaissé par l'historiographie, le Paris populaire de la Révolution retrouve ici sa place centrale dans la grande mutation qui édifie les fondements de la France contemporaine.
Des hommes qui vengent leur père, leur frère ou leur soeur, des maris qui tuent en flagrant délit d'adultère, des pères qui mutilent l'enfant menaçant l'honneur de la famille... À partir des lettres de rémission, une source méconnue, bruissante des affrontements de violence et de sang qui traversent et perturbent les relations interpersonnelles, ce livre porte sur l'homicide vécu au quotidien, du siècle de la Renaissance à celui des Lumières : il en définit les composantes, il en esquisse l'évolution et ambitionne de proposer une explication globale en offrant un modèle de compréhension et d'intelligibilité de la société de l'époque moderne.L'évolution n'a pas été linéaire : la violence s'exacerbe au XVIe siècle, notamment dans le cas du duel, puis décline, jusqu'à atteindre un point bas dès le début du XIXe siècle. À la théorie du procès de civilisation, chère au sociologue Norbert Elias, maints aspects des affrontements du siècle de la Renaissance et des guerres de Religion ne se conforment pas. Aussi, la première originalité de cet ouvrage est-elle d'emprunter son paradigme explicatif à Émile Durkheim : la violence diminue parce que déclinent les causes qui y portent, c'est-à-dire l'attachement à des groupes, et d'abord aux groupes de parenté, ainsi qu'aux communautés confessionnelles au temps de la déchirure religieuse et des « guerriers de Dieu ».Ce livre permet de comprendre le poids des devoirs issus des liens du sang, encore très forts au XVIe siècle : à la fois une solidarité impérieuse et une obligation intransigeante de défense de son honneur, un honneur conçu comme collectif et absolu. L'attention accordée aux femmes est toujours très forte : épouses, soeurs et filles occupent, au coeur de ces conflits de violence, une position centrale. Une autre originalité de l'ouvrage est de calculer des taux d'homicide : taux très élevés dans le cas du duel, puis déjà bas dans la société rurale du XVIIIe siècle. Il montre enfin l'affaiblissement des liens de parenté, corrélé au resserrement du lien conjugal, ainsi que la relativisation et l'individualisation de l'honneur, portées par le désir de plus en plus impérieux d'un épanouissement individuel.L'aspiration au bonheur serait-elle le meilleur remède à la violence ?
Comment établir l'identité d'une personne à une époque où n'existe ni photographie, ni empreinte digitale, ni même état civil fiable? Entre la Régence et la Restauration, la France a été le siège d'une révolution silencieuse d'une ampleur jusqu'à présent insoupçonnée: la naissance de l'identité individuelle, une «identité de papier» fondée sur le registre, le certificat, le passeport: les soldats, les mendiants, les vagabonds, les criminels furent les premiers à être «fichés». Avant que l'ensemble de la société ne soit, à son tour, «identifiée».Quels sont les instruments de cette identification de la personne? Les techniques et les procédures de signalement? Les acteurs? Comment la société a-t-elle réagi à ce processus de fichage?Ce livre retrace pour la première fois l'histoire de l'identité individuelle: en s'imposant dans la vie de tous les Français sous l'influence de l'État, par le travail et le savoir des agents de la machine administrative de l'Ancien Régime, de la Révolution et de l'Empire, et par les enquêtes de la police, les «papiers» ont fondamentalement modifié l'histoire de l'individu.La genèse des techniques et des pratiques de l'identification jette un éclairage nouveau sur l'histoire de notre modernité «démocratique», qui s'enracine dans des pratiques inventées par l'Ancien Régime, au temps des rois absolus.Vincent Denis, ancien élève de l'École normale supérieure, ancien Procter Fellow à l'Université de Princeton, est maître de conférences en histoire moderne à l'Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Il a reçu en 2004 le prix Albert-Mathiez de la Société des Études Robespierristes pour la thèse dont est issu ce livre.
Capitale politique du royaume de France, monstre démographique et chaudron social sans cesse bouillonnant, Paris est-elle également la capitale du crime ? Cela ne fait aucun doute pour les chroniqueurs bourgeois de la Renaissance, persuadés de voir proliférer le crime organisé à l'intérieur des murailles de la ville, réactivant ainsi, à la faveur des grandes crises du siècle, les stéréotypes de l'insécurité urbaine. C'est également le discours que tient la Couronne, pour laquelle dénoncer l'insuffisance de la police parisienne permet de faire progresser la tutelle royale au détriment des autonomies anciennes de la bonne ville.Les sources de la pratique judiciaire livrent pourtant une tout autre image de la criminalité parisienne au XVIe siècle. Fréquente et ritualisée, la violence ordinaire est d'abord le fait d'une jeunesse masculine en mal d'intégration professionnelle et matrimoniale. Mais si l'engouement pour le duel à l'épée modèle l'homicide parisien, la capitale ne semble pas connaître d'explosion sanglante hors du commun. Les instruments traditionnels de la régulation sociale - police en immersion dans la rue, justice conciliatrice plus que coercitive et surtout contrôle communautaire étroit - résistent encore aux mutations profondes de l'organisme urbain, assurent une relative modération de la violence et engagent la société parisienne sur le chemin du désarmement. Analysés au ras de la rue, les conflits ordinaires permettent aussi de restituer l'intensité de la vie sociale dans la plus grande ville d'Occident, où la conduite et la renommée de chacun sont soumises au regard de tous et aux normes communes. Plutôt que naturellement « pousse-au-crime », Paris apparaît au contraire comme un modèle original de moralisation et d'encadrement des comportements à l'aube des Temps modernes.Ancienne élève de l'ENS Lettres-Sciences Humaines, agrégée d'histoire et docteur en histoire moderne, Diane Roussel est maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne. Elle est spécialiste de l'histoire de la criminalité, de la justice et de la police au XVIe siècle.
Les gestes iconoclastes sont présents au cours de la plupart des processus révolutionnaires : statues déboulonnées, portraits brûlés, emblèmes effacés, souvent en public. Ces destructions ou profanations visent l'effacement d'une mémoire, la « régénération » culturelle, le simple défoulement de haine dans un contexte de surenchère émotionnelle, l'expression d'une opinion dans l'espace public (forme extrême du graffiti), ou encore une appropriation de souveraineté.Cet ouvrage pluridisciplinaire (historiens, historiens de l'art, anthropologues) étudie l'iconoclasme de la France en Révolution au Printemps des Peuples, de la Commune à la Révolution bolchevique, de la Révolution hongroise à la Révolution culturelle chinoise, de la chute du Mur de Berlin à la « révolution » talibane en Afghanistan.
Né de la découverte d'une nouvelle forme de périodiques politiques créée à la fin du XVIIe siècle, ce livre examine les pratiques d'écriture de l'actualité à l'époque, dresse le portrait des premiers journalistes et explore les relations entre ce monde de la librairie et les autorités politiques. Publiés en Hollande par des exilés français et diffusés à travers l'Europe, ces mensuels constituent la première presse politique d'analyse et d'opinion en langue française et est un vecteur inédit de politisation des lecteurs. Comme certains de leurs rédacteurs étant aussi historiens du temps présent et informateurs au service des ministres européens, l'objet de ce livre se trouve à la croisée de l'essor d'un marché de l'information et des politiques de communication des États.
Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, l'embaumement des cadavres était réservé à une élite du sang et de la fortune soucieuse d'échapper à la dissolution. Aujourd'hui en France, plus de la moitié des corps reçoivent des soins de conservation dispensés par des professionnels de la thanatopraxie. Ces soins sont destinés à retarder la décomposition et à permettre aux proches d'organiser sereinement les funérailles. Ils ne visent pas à conserver les corps indéfiniment, ce que la loi ne permet d'ailleurs pas.Entre ces deux régimes de conservation, le XIXe siècle offre une parenthèse singulière. C'est dans sa première moitié que naît et s'affirme l'embaumement romantique : un désir éperdu de préserver des corps éternellement intacts, revendiqué comme un aspect légitime du culte des morts et inséparable de l'apparition du cimetière moderne et de ses concessions perpétuelles. L'embaumement connaît alors une vogue aussi extraordinaire que brève, et amorce une diffusion sociale dans la bourgeoisie urbaine. Mais cet engouement suscite aussi une concurrence féroce entre médecins et non-médecins qui se disputent le marché du corps des défunts dans une guerre à la fois technique, commerciale, socioprofessionnelle et déontologique.C'est l'histoire de cette passion mortuaire, de sa naissance, de son épanouissement et de son déclin que l'ouvrage d'Anne Carol entend restituer sous un angle social et culturel, et en la replaçant dans l'histoire plus large des sensibilités collectives face à la mort et au cadavre.
Surgie de l'eau et de la boue, au coeur des lagunes, Venise a été l'objet d'un façonnement et d'un soin jaloux et quotidien qui n'ont connu aucune trêve. Car il fallait mener dans un site fragile, que l'on pensait providentiel, la défense contre les périls des eaux saumâtres au milieu desquelles les hommes s'étaient tôt installés. Sans cesse des pilotis furent enfoncés et remplacés, des digues élevées et renforcées, des canaux creusés et curés, de la terre charriée et amassée pour conquérir toujours plus d'espace. Le travail de création vénitienne fut aussi un immense effort et une longue oeuvre de construction de ponts et de quais, de palais et d'églises, de maisons et d'entrepôts... De la sorte, jour après jour, année après année, la ville a été inventée, dans un mouvement toujours continué qui tendait vers l'élaboration d'une beauté formelle ; par cette exigence de théâtralité monumentale, il s'agissait de mettre en représentation l'imaginaire d'une grâce divine. Mais Venise, aux derniers siècles du Moyen Age, ne fut pas qu'un décor de pierres et de briques : elle a été aussi façonnée par les pas, les postures et les mots des hommes. Et fut ainsi modelée une culture urbaine dévoilant les rapports que les Vénitiens entretenaient avec leur histoire. C'est cette invention de Venise qui est ici reconstituée jusqu'au moment où, vers 1500, elle semble atteindre une plénitude.
Pourquoi travailler sur les moines de la Renaissance ? Ces adeptes têtus du mépris du monde, crasseux et ignorants, paillards à l'occasion, méritent-ils plus que les sarcasmes d'Érasme, de Luther ou de Rabelais ?Pourtant, la Renaissance fut dans le royaume de France un moment de renouveau de la vie monastique. Les couvents se multiplient, leurs réformes aussi. Anciens religieux issus de maisons réformées, Érasme, Rabelais et Luther connaissent bien cette vitalité. Dès lors n'est-ce pas la prétention des religieux à incarner la perfection chrétienne plus que leurs turpitudes qui suscite autant d'ironies et de critiques ?Jean-Marie Le Gall prend le risque de travailler sur ces moines dans une période où l'historiographie les voue ordinairement à la décadence. À travers une multitude de sources (sermons, statuts, registres capitulaires, comptes, procès...) il entreprend une étude fouillée de ce monde des réguliers, qui attire ou qui révulse mais qui ne laisse jamais les contemporains indifférents.Sa grande originalité est de regarder du côté de ceux qui sont réputés avoir refusé la réforme - les déformés - et de constater qu'être contre une réforme ne signifie pas être contre toute forme de réforme. Dès lors, dans leurs adhésions comme dans leurs refus, les religieux apparaissent bien être des acteurs essentiels de ce temps des réformes.Ce livre enrichit donc la compréhension du travail de l'idée de réforme dans la société avant la Réformation. Qui réforme, pourquoi et comment ?
De la machine infernale de la rue Saint-Nicaise à l'assassinat du président Sadi Carnot, le xixe siècle est marqué en France par de nombreux attentats, qui à l'aide de poignards, de pistolets et de fusils, de machines infernales et de bombes, visent les chefs d'État, les lieux de pouvoir, comme l'Assemblée nationale, les sièges des compagnies minières, les domiciles de certains magistrats ou encore les restaurants et les cafés. Attribués souvent à des fanatiques, animés d'une volonté destructrice, ces attentats n'en recèlent pas moins une dimension profondément politique.Pour autant, la finalité de ces actes interroge. S'agit-il uniquement de frapper des individus clairement désignés? Le but est-il de déstabiliser, d'impressionner, d'intimider? Peut-on parler de terrorisme pour cette violence politique qui revêt parfois des formes spectaculaires et suscite, chez les contemporains, des émotions intenses? Si les attentats commis par les anarchistes sont souvent présentés comme les premiers actes relevant du terrorisme, frappant de manière aveugle, suscitant l'angoisse et la peur, ils s'inscrivent néanmoins dans la continuité de bien des attentats précédents, à l'exemple de ceux de Fieschi et d'Orsini, qui visent moins à mettre à mort une personne donnée qu'à bouleverser, troubler, voire effrayer.C'est cette violence, qualifiée par le chef de la police de sûreté sous le Second Empire d'«ouragan homicide», que la presse périodique, les rapports des autorités administratives, les correspondances et les mémoires des contemporains, les archives judiciares ainsi que les documents iconographiques permettent ici d'approcher.Karine Salomé est chargée de cours à l'Université Paris Diderot-Paris 7 et chercheur associé au Centre de recherches en histoire du xixe siècle.
Marat a-t-il été assassiné par Charlotte Corday, ou par les historiens eux-mêmes ? L'événement, pris dans les tourbillons de la mémoire depuis le 13 juillet 1793 et longtemps rejeté par les historiens universitaires, ne fut très vite ressenti qu'à travers la figure de Corday et a fini par s'échouer sur les rives incertaines du patrimoine antirépublicain. Ce sont les pilleurs qui semblent aujourd'hui avoir gagné la bataille du passé, bradant les restes aux mieux-disants : Marat est mort une seconde fois, noyé sous le charisme encore exercé par Corday, transformée en énième figure de la société compassionnelle. Prendre parti au sein des débats mémoriels, ce n'est pas seulement retrouver les sources politiques du fameux attentat. C'est aussi inviter le lecteur à remonter le cours de la mémoire et accepter de plonger, avec Corday, Marat et leurs historiens, dans le grand bain du passé.Docteur en histoire, ancien élève de l'ENS-Lyon, Guillaume Mazeau enseigne à Lens. Il a publié Charlotte Corday et la Révolution française en 30 Questions (Geste). Il est commissaire de l'exposition Corday/Marat. Les discordes de l'histoire, qui se tiendra au Musée de la Révolution française de Vizille (Isère) du 26 juin au 26 septembre 2009.
Dans la France de la Renaissance, la cour s'impose comme un outil de gouvernement. À la fois instrument et reflet de sa puissance, l'entourage du prince joue un rôle politique majeur. C'est dans ce monde aux contours mouvants qu'un cercle privilégié de familiers acquiert une position dominante: les mignons. Ce livre s'attache à ces personnages mal connus, à la réputation sulfureuse. Jusqu'au milieu du XVIe siècle, seuls quelques grands barons jouent à la cour le rôle d'intermédiaires obligés entre les élites et le souverain. Avec les guerres de Religion (1562-1598), les conflits pour l'accès aux ressources de l'État et à la faveur du roi deviennent de plus en plus violents. Tandis que la reine mère Catherine de Médicis tente de rétablir l'unité du royaume, le futur Henri III prend la tête d'un groupe de jeunes gens soudé notamment par l'expérience des combats. Les mignons accèdent donc au pouvoir avec leur maître en 1574. Ils forment alors l'écrin qui magnifie la majesté du souverain. Les ducs de Joyeuse et d'Épernon émergent de cette nébuleuse, épurée par les assassinats, les duels et les disgrâces. Après la mort du premier et la mise à l'écart du second, la politique de la faveur s'éteint, obligeant le roi à reprendre lui- même en main le fonctionnement de la cour.Cette histoire de la faveur propose une approche renouvelée de la formation de l'État royal: elle démontre que les figures du courtisan et du favori participent pleinement à la construction du pouvoir monarchique.
Qui a créé Versailles ? Quelle est la part respective de Louis XIV, de ses ministres et de ses architectes dans l'élaboration progressive de l'immense bâtisse et des autres grandes constructions royales à l'apogée du règne ? Quel fut le rôle de ces chantiers dans la structuration et l'affirmation de la monarchie absolue ?
Pour répondre à ces questions, Les Demeures du Soleil replacent les Bâtiments du roi dans le contexte politique, administratif et culturel des années 1680, au moment où s'ouvre la « crise de la conscience européenne ». Nous entrons dans l'intimité de Louis XIV, de Colbert, de Louvois et de leurs conseillers techniques, artistiques et littéraires, Vauban, Charles Le Brun, jules Hardouin-Mansart, Charles Perrault et Henri de La Chapelle-Bessé. Derrière le masque solennel des dignitaires en perruque, nous découvrons les discussions, les disputes, les intrigues de cour ou de bureau et la verve de personnalités truculentes. Plus que de peinture, d'architecture ou de littérature, c'est de l'État qu'il s'agit ici, d'un État « moderne » dont les institutions culturelles ont survécu à la monarchie elle-même.
I:enquête nous entraîne tour à tour à Paris, à Versailles, à Chambord et sur le chantier de l'aqueduc de Maintenon, mais également en Provence, en Angleterre, en Allemagne et en Italie, dont les trésors affluent alors vers les palais du Grand Roi.
Les Demeures du Soleil sont une page de l'histoire de l'Europe à l'heure de la prépondérance française.
Ville rebelle, ville insoumise, Bordeaux fait figure, au xviie siècle, de môle de résistance face à l'autorité royale sans cesse grandissante. Lorsque le jeune Louis XIV se présente aux abords de la cité en 1650, il trouve portes closes pendant près de deux mois La capitale de Guyenne joue alors l'un des plus beaux et des plus tragiques épisodes de son histoire: la Fronde. Deuxième foyer de rébellion après Paris, la cité est le refuge du parti des princes. Mais c'est oublier que le soulèvement fut initié par ceux qui sont alors les maîtres de la ville: les magistrats du parlement. Arnaud de Pontac, Bernard de Pichon, Lecomte de Latresne Au sein de la cité, tout dit la présence et la puissance de ces hommes, des hautes tourelles du palais de l'Ombrière aux majestueuses façades du cours du Chapeau Rouge, du gibet de la place aux distributions d'aumônes, des chapelles funéraires à la procession de la Fête-Dieu La compagnie, forte d'une centaine de magistrats, domine alors la ville, presque sans partage. La jurade, comme les autres institutions de la cité, se soumet à son autorité. Même le gouverneur de la province, le célèbre d'Epernon, aussi bien que les intendants savent que l'on ne peut braver impunément le parlement de Bordeaux. Mais cette aura peut-elle se maintenir au temps du triomphe de l'absolutisme royal? Durant ce règne qui fut celui d'une supposée reprise en main des cours souveraines, comment réagit l'un des parlements les plus indociles du royaume? D'une régence à l'autre, de 1643 à 1723, Bordeaux ne cesse donc d'être au coeur des préoccupations royales et le souverain garde toujours un oeil sur cette cité rebelle, sur ces magistrats gascons volontiers sujets aux mouvements d'humeur. Qu'éclate la révolte du papier timbré, et c'est un exil de quinze ans qui s'abat sur toute la compagnie. Aussi, l'histoire du parlement de Bordeaux durant la seconde moitié du xviie siècle fournit-elle une clé d'analyse de la marche à l'absolutisme. Loin des déclarations péremptoires d'un Colbert ou d'un souverain soucieux d'édifier son successeur, cet ouvrage propose un regard complémentaire, sinon contradictoire, d'une réalité habituellement perçue depuis Paris. On y découvrira que le pouvoir royal use de méthodes beaucoup moins radicales qu'on ne l'a souvent cru. Le pragmatisme monarchique est fait de négociations, de retours en arrière On compose, on évite l'affrontement direct en se ménageant relais et soutiens au sein du groupe. On comprendra surtout que l'opposition n'est que l'un des aspects de la relation roi-parlement et que ce n'en est pas le mode majeur. Rouage indispensable de la monarchie, le parlement et ses hommes sont avant tout des juges et se conçoivent d'abord comme des fidèles serviteurs du roi.