L'auteur de Philippe le Bel s'attache aujourd'hui à ce long siècle qui suivit la mort des derniers Capétiens. Mais fallait-il écrire l'histoire d'une guerre? Jean Favier montre que ce conflit n'est pas seulement phénomène en soi, il exprime les mouvements profonds qui animent la société médiévale: par-delà les batailles _ où il arrive que le sort d'un royaume se joue en quelques quarts d'heure _, la guerre devient facteur déterminant des infléchissements de l'histoire dès lors que le noble et le clerc, le bourgeois et le paysan pensent et se comportent en fonction de cette guerre. Qu'elle soit réelle ou supposée, proche ou lointaine, voilà qui change peu cet horizon mental qu'est la guerre pour cinq générations qui ont su qu'elle faisait partie de leur vie.
La guerre de Cent Ans a été le lot commun des individus comme des groupes humains, celui des féodaux encore pris dans leurs fidélités contractuelles, celui des officiers royaux découvrant le service de l'Etat à mesure qu'ils le conçoivent, celui de maîtres de l'Université que leurs engagements intellectuels mènent à des conflits qui n'étaient point les leurs.
En un étonnant contrepoint où passent les visages renouvelés d'un Charles le Mauvais, d'un Bertrand du Guesclin, d'un Pierre Cauchon et de bien d'autres, Jean Favier fait jouer les thèmes divers qui s'appellent le nationalisme naissant, la réforme de l'Etat et l'unité de l'Eglise, le prix du blé et le salaire du maçon, l'influence parisienne et la force provinciale, le métier des armes et la volonté de paix.
Jean Favier est né en 1932. Membre de l'Institut, directeur général des Archives de France, il est aussi professeur à l'université de Paris-Sorbonne et directeur d'études à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il s'est fait connaître par de nombreux travaux sur les finances médiévales et sur les structures économiques et sociales de Paris à la fin du Moyen Age. Ses livres Philippe le Bel, François Villon, De l'or et des épices ont tous connu un grand succès. Il dirige l'Histoire de France (Fayard) dont il a lui-même écrit le tome II, Le Temps des principautés.
Comment imaginer un plus beau destin de chevalier ? Guillaume est un homme nouveau issu d'un modeste lignage. Il est né au milieu du xiie siècle sous le règne d'Etienne de Blois, petit-fils de Guillaume le Conquérant. Champion de tournois jusqu'à quarante ans, il a servi fidèlement les Plantagenêt : Henri II, son fils aîné Henri le Jeune, et les cadets Richard Coeur de Lion, Jean Sans Terre. En récompense, on lui a donné pour femme l'un des plus beaux partis d'Angleterre. A la guerre, il a combattu Philippe-Auguste et c'est à soixante-treize ans, comme Régent d'Angleterre du jeune Henri III, qu'il a remporté contre le futur Louis VIII la bataille de Lincoln, en 1217, qui obligea les Français à conclure la paix et à évacuer l'Angleterre. Apprenant la mort de Guillaume dans la tradition des Croisés, Philippe-Auguste et ses Barons le proclamèrent : « le meilleur des chevaliers ».
A travers l'irrésistible ascension de Guillaume Le Maré-chal, Georges Duby reconstitue, dans l'un de ses plus beaux récits, le théâtre de la chevalerie. Il nous fait les spectateurs privilégiés de l'art du tournoi, des rites de la guerre, et les compagnons de cette société d'hommes rudes et généreux qui rivalisent de prouesse, de largesse et de loyauté.
Georges Duby était professeur au Collège de France. Il a été en France le meilleur analyste des trois ordres de la société médiévale. Auteur du Temps des Cathédrales et de L'Europe au Moyen Age, il a su faire découvrir à un large public les réalités et les rêves du monde féodal.
Telle qu'elle se structure entre l'Antiquité tardive et le haut Moyen Age, la religion chrétienne ne faisait pas la part belle aux femmes : assimilées à Eve, l'alliée du Serpent, elles étaient exclues du sacerdoce et cantonnées dans une position mineure au sein de l'Eglise. Pourquoi, à la fin du Moyen Age, la religion s'est-elle féminisée, par une adhésion plus forte des femmes à la foi et à la pratique, par une féminisation du discours religieux, par une alliance ambiguë du prêtre et de la dévote communiant dans une religion de la Mère et du Fils ? Pourquoi, selon l'audacieuse expression de Michelet, « Dieu a-t-il changé de sexe, pour ainsi dire » ?
Au tournant des XIe et XIIe siècles, au temps de la réforme dite grégorienne, la tradition interdisait aux femmes de pénétrer dans certains sanctuaires ; mais se met en place une triade Marie, Eve et Madeleine où, entre les deux premières images, antinomiques, s'ouvre par la troisième l'interstice d'un accès au salut au prix de la pénitence. C'est l'époque de la fondation du monastère mixte de Fontevraud où les hommes étaient soumis aux femmes.
Le vrai retournement survient au xiiie siècle avec François d'Assise qui, célébrant des allégories féminines telle « dame Pauvreté », se présentant lui-même en mère de ses fils spirituels, offre aux femmes une icône à laquelle s'identifier. Claire d'Assise, de son côté, échappe à ces jeux d'inversion pour atteindre à une vision de l'humanité au-delà des genres.
Aux xive et xve siècles, une floraison de saintes de très modeste renommée, surtout en Italie, marque ce mouvement de féminisation du religieux. Leur parole se fait entendre, telle celle d'Angèle de Foligno. Elles se mettent à jouer la Passion du Christ par les places et les rues, telle Claire de Rimini. Elles fédèrent la mémoire des cités et accèdent enfin à une écriture autonome où
s'exprime leur désir d'explorer les mystères de la foi avec toute la force de leur raison.
Ancien membre de l'Ecole française de Rome, ancien directeur de l'Institut de recherche et d'histoire des textes, directeur de recherche au CNRS, Jacques Dalarun, médiéviste de réputation internationale, a dirigé l'édition du Moyen Age en lumière (Fayard 2002), qui a connu un succès retentissant. Il a publié en dernier lieu chez Fayard Vers une
résolution de la question franciscaine (2007).
Sous la pression de l'histoire qui continue de se faire, et qui revendique sa place dans l'enseignement, la IIIe République ne cesse de céder du terrain devant les périodes plus récentes et l'irruption des civilisations étrangères. En l'absence d'un enseignement raisonné, le sentiment, le préjugé envahissent le champ de la conscience et peuplent la mémoire. Quelques épisodes surnagent du naufrage et prennent une dimension mythique : l'affaire Dreyfus, à laquelle l'intensité des controverses actuelles sur l'antisémitisme confère une importance disproportionnée, le 6 Février, le Front populaire... Quelques noms demeurent : Léon Gambetta, Jules Ferry, Jean Jaurès, Léon Blum, Georges Clemenceau, Raymond Poincaré...
Et pourtant ces soixante ans de République méritent infiniment mieux que l'oubli, l'indifférence, le discrédit ou cette histoire qui retourne à la friche. Non seulement son intérêt propre est grand : c'est une leçon de choses qui n'a pas perdu toutes ses vertus. Mais nous en restons tributaires : elle nous lègue tout un héritage dont nous devons faire l'inventaire ; nous tenons d'elle des idées, des pratiques, des habitudes, des traditions sans lesquelles notre vie politique aujourd'hui ne serait pas ce qu'elle est. On comprendrait mal ce que celle-ci est présentement en ignorant la IIIe République. En inventorier l'héritage, retrouver les traces de ses apports, tel est le propos de ce livre, et telle est l'une de ses raisons d'être.
R.R.
Membre de l'Académie française, président de la Fondation nationale des sciences politiques, René Rémond est le maître incontesté de l'histoire de la France au xxe siècle. Parmi ses nombreux ouvrages sur ce sujet, il faut citer au moins Les Droites en France (1982), Notre siècle, 1918-1995 et L'Anticléricalisme en France (nouv. éd., 1999).
Dans la Divine comédie de Dante, un seul philosophe se trouve au sixième cercle de l'Enfer, au milieu des hérétiques : Épicure. Comment un penseur ayant vécu au ive siècle av. J.-C. peut-il être jugé ainsi ? En proposant une archéologie des représentations de l'épicurien dans les trois grandes religions monothéistes, Aurélien Robert retrace la longue élaboration des associations entre épicurisme et hédonisme, athéisme et hérésie, et leur transformation au Moyen Âge.
Mais cette histoire en cache une autre, restée dans l'ombre d'une imposante littérature religieuse. Dès le xiie siècle apparurent des tentatives de réhabilitation du philosophe grec, près de trois siècles avant la redécouverte de Lucrèce par Poggio Bracciolini. Ces témoignages de théologiens, de médecins, de philosophes présentent Épicure comme un grand sage, voire un modèle pour les chrétiens. Dans le même temps, sa pensée du plaisir retrouvait progressivement son prestige. Contrairement à une idée répandue, ce n'est pas le Moyen Âge qui inventa la caricature de l'épicurien. Plus encore, c'est à cette époque que l'on tenta de sauver Épicure et sa philosophie des enfers.
Directeur de recherche au CNRS, ancien membre de l'École française de Rome, Aurélien Robert est spécialiste d'histoire de la philosophie du Moyen Âge et de la Renaissance. En 2019, il a reçu la médaille de bronze du CNRS pour l'ensemble de ses travaux.
Pourquoi l'Europe est-elle devenue chrétienne ? Une évangélisation pacifique des populations a bien évidemment existé ; mais très tôt la force, et notamment la force publique vint s'ajouter ou se substituer au pouvoir de conviction des prédicateurs. Malgré la qualité de leur appareil législatif et administratif, les empereurs romains ne parvinrent cependant jamais à convertir l'ensemble de leurs sujets. Lorsque le dernier d'entre eux fut déposé en 476, l'Occident passa définitivement sous la domination de rois germaniques, dont à cette date aucun n'était catholique. Les politiques civiles de coercition religieuse disparurent et l'on put même douter que le christianisme survive à l'anéantissement de l'Empire.
Pourtant, trois siècles plus tard, l'Europe ne connaissait plus qu'une seule religion, le christianisme, et dans sa variante catholique, non pas arienne. Pour les contemporains, le phénomène parut mystérieux, car il était paradoxal. Les peuples barbares, vainqueurs de la puissance romaine, avaient accepté de se soumettre à la religion de leurs vaincus De façon plus extraordinaire encore, des évêques isolés et des législateurs d'États embryonnaires étaient parvenus à réaliser ce que Rome n'avait pas même rêvé d'accomplir. Comparer l'ampleur des réalisations à la modestie des moyens ne peut qu'amener à réviser l'idée que le christianisme a été imposé par la force. À moins que notre définition de la contrainte religieuse se révèle imparfaite face aux mentalités de ces siècles obscurs... Dans un âge d'inquiétude, la participation collective à des rituels d'unanimité ou la reconnaissance de signes surnaturels ont pu fléchir les consciences, sans pour autant les violer. De multiples facteurs sociaux, économiques ou culturels et intellectuels se sont superposés, comme autant de formes de pression subtiles qui amenèrent les individus au baptême (l'attitude changeante des monarques barbares envers les juifs fournit aussi quelques intéressants points de comparaison.).
Étendue dans l'espace à toute l'Europe occidentale sur pas moins de trois siècles, cette enquête rigoureuse et nuancée restitue ainsi le passage de l'Occident au christianisme dans toute sa complexité. En multipliant les angles de vue, elle propose une nouvelle approche du concept de liberté religieuse en un temps où convaincre et contraindre ne constituaient pas nécessairement des démarches opposées. Ce livre fera date.
Oui, Napoléon Bonaparte a rétabli l'esclavage, après de longues hésitations. Oui, les généraux envoyés par lui aux Antilles ont férocement réprimé les révoltes des Noirs et des mulâtres. Mais c'est à ne pas replacer ces faits dans leur contexte que l'on perd le fil de l'histoire. C'est en oublier que le projet de Napoléon était d'abord géopolitique, que son ambition était « mondiale ». C'est ignorer que le rétablissement de l'esclavage intervient dans un monde où l'abolitionnisme balbutiait, son coût économique étant jugé insupportable par un secteur qui employait alors un Français sur dix.
Privilégier l'hypothèse « raciste », lire l'histoire à l'envers, d'aujourd'hui à hier et - pourquoi pas ? - à avant-hier, ne peut que contribuer à une utilisation déréglée d'une mémoire pourtant si utile lorsqu'elle ne se confond pas avec le militantisme partial.
Empoignant à bras-le-corps une affaire qui, c'est vrai, en a embarrassé plus d'un avant eux, Pierre Branda et Thierry Lentz ont repris le dossier de l'esclavage et des colonies pièce par pièce, à l'aide d'une documentation complète, parfois inédite. Comme toujours en histoire, ils en tirent un bilan qui n'a que faire des bons sentiments (sinon ils ne seraient pas historiens !).
A la fin du XVIIe siècle, " la majorité des Français pensaient comme Bossuet ". Au XVIIIe siècle, " les Français pensent comme Voltaire ", dit-on.
Le XVIIIe siècle se situe bien entre deux mondes. D'un côté, il vit encore au rythme des contraintes et des traditions, et repose sur l'antique association du religieux et de l'Etat. A la tête de cet édifice, le roi-prêtre, agent principal du politique, dont les hommes sont à la fois les moyens et la fin. Mais en même temps un autre système de références se dessine: l'heure des montres et des horloges, qui succède au temps sacré des églises, tout comme la maîtrise de l'espace transforment la vie ordinaire des Français. Une autre société se met en place, celle de l'échange et du développement du commerce, celle des grands ports et celle des grandes cités de l'entreprise. Au sein même de la France profonde apparaît une France plus ouverte, plus mobile. Elle revendique un ordre humain autonome où l'individu devient la mesure de toutes choses. Les problèmes de fiscalité, de justice, de sécurité montent sur le devant de la scène, et cette contestation sociale et politique contribue à former l'opinion publique: la personne du roi, la Cour sont désormais soumis à la critique.
Comment les contemporains ont-ils compris ce basculement du monde? Comment en ont-ils été les acteurs? Comment, tandis que la société se désacralisait, leurs croyances, leurs valeurs et leurs habitudes se sont-elles modifiées? Cette histoire de La France des Lumières nous plonge dans les racines de la modernité. Elle nous invite à une passionnante relecture d'un siècle qui fit l'apologie du négoce, exalta la nature, la science et le progrès, d'un temps aussi qui crut au bonheur pour tous.
Daniel Roche est professeur à l'université de Paris-I et directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les Lumières, en particulier Les Républicains des Lettres (Fayard, 1988), et La Culture des apparences (Fayard, 1989), et a reçu le grand prix national d'histoire pour l'ensemble de son oeuvre.
Le Consulat commence le 11 novembre 1799, au matin du troisième jour du coup d'Etat de Brumaire. Il s'achève le 18 mai 1804, avec
la proclamation de l'Empire. Entre ces deux dates, quelle oeuvre accomplie sous la conduite de Bonaparte ! De la réconciliation nationale à la paix intérieure, du Code civil au franc Germinal, de la réforme administrative et judiciaire au rétablissement de l'influence diplomatique de la France en Europe, du Concordat aux dizaines de lois votées au pas de charge, la Révolution fut canalisée.
Ecrasé par la perspective déformante de l'épisode napoléonien pris à rebours, le Consulat a pu sembler parfois n'être qu'un hors-d'oeuvre, une mise en jambe avant les chevauchées de l'Empire. Comme si tout s'était enchaîné avec logique. Comme si Napoléon avait naturellement percé sous Bonaparte.
En réalité, la montée de Napoléon vers le pouvoir personnel se fit par étapes et crises successives, parfois ponctuées de petits « coups d'Etat » intermédiaires avant la grande manoeuvre qui engendra la transformation finale du régime. Les efforts de l'équipe consulaire pour repousser les tentatives royalistes ou jacobines et juguler une forte opposition parlementaire, les risques de renversement courus par le gouvernement à quelques moments chauds de même que les rivalités de « courants » en son sein sont autant de chapitres que l'on ne peut ignorer lorsqu'on entreprend l'analyse des événements des années 1800 - 1804.
Au demeurant, en même temps qu'ils attestent de la virtu du Prince, ils valorisent l'oeuvre du Grand Consulat : tandis qu'il réformait d'arrache-pied, il dut encore lutter contre des ennemis décidés, savoir s'appuyer sur ces offensives pour adapter sa course et, bien souvent, avouer sa soumission totale aux événements.
Thierry Lentz est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le Consulat et l'Empire : La Moselle et Napoléon (1986), Roederer (1990), Savary, le séide de Napoléon (1993), Le 18-Brumaire (1997, grand prix de la fondation Napoléon 1997), Napoléon, « Mon ambition était grande »(Gallimard, 1998). On lui doit également un Napoléon III (« Que sais-je ? », 1995). Il a collaboré au Dictionnaire du Second Empire et au Dictionnaire Napoléon (Fayard). Universitaire, il a enseigné à l'université de Nancy-II. Il conserve un enseignement au CELSA (Paris-IV-Sorbonne).
La guerre de cent ans est un des épisodes le plus fortement fondateur de la cohérence du royaume de France. Entre 1337 et 1453, elle a opposé la dynastie des Valois aux rois d'Angleterre qui prétendait régner sur le pays au nom d'un droit de succession.Tant de batailles et d'événements sont entrés dans notre imaginaire national, telles les victoires de Du Guesclin et les défaites, comme la terrible bataille d'Azincourt. Ce fut aussi l'époque d'Etienne Marcel guidant une révolte, un temps où bientôt un roi fou, Charles VI, gouverna le pays avant d'être placé sous la tutelle de sa femme. Divisé, le royaume tomba dans une terrible guerre civile, alors que s'établissait pour la première fois à Paris un roi britannique, encore enfant, couronné sous le nom d'Henry VI. Shakespeare écrira de belles pages sur cette domination anglaise et son occupation du territoire. Et Jeanne d'Arc émerge de ce tourbillon. Le magazine l'Histoire dès sa création a demandé à des spécialistes d'éclairer cet immense chantier intellectuel. Plus récemment, il a élaboré un dossier sur ce sujet qui permet de mesurer les changements historiographiques. Ces articles forment la trame de ce nouveau livre. Les signatures de grands historiens comme Philippe Contamine, Jean-Philippe Genet, Bernard Guené ou Nicolas Offenstadt apparaissent dans ces pages. Elles montrent la vitalité d'une de la réflexion sur une période qui, encore en 2013, figure au programme de l'agrégation. Christopher Allmand, Colette Beaune, Patrick Boucheron, Boris Bove, Philippe Contamine, Christopher Fletcher, Jean-Philippe Genet, Bernard Guénee, Nicolas Offenstadt...
Villes vivantes, villes de la Vénétie ou de la Lombardie, de la Toscane ou de l'Ombrie, villes médiévales... Florence et Venise, Bologne et Milan, Rome et Sienne, Pérouse et Trévise, les villes d'Italie animèrent une aventure d'une extraordinaire intensité : l'aventure d'agglomérations en mouvement, lancées à la conquête de leurs campagnes proches ou d'espaces économiques plus lointains, riches d'activités quotidiennes comme de leur implication dans les échanges internationaux. L'histoire de cités actives et peuplées, singulières et dominantes qui se construisirent et s'embellirent dans le bruit et la poussière des chantiers, dans les flux des hommes, des marchandises et des capitaux, dans l'action des élites qui les gouvernaient et le travail de tous ceux qui oeuvraient au dégagement des rues ou à l'édification des premiers palais.
Au temps de l'expansion économique et de la croissance démographique, dans les décennies du grand bond en avant de l'Italie, à l'heure ensuite des difficultés, des adaptations et des reconversions, ce furent, pour Venise, Pise, Gênes ou
Pistoia, autant de défis à relever, de réponses à imaginer. Des défis synonymes d'approvisionnement en eau, de gestion des nuisances et des risques, de protection des métiers urbains,des réponses qui s'attachaient à la beauté des églises ou à la
préservation de la cohésion sociale.
De l'âge des communes au temps de la première Renaissance, Elisabeth Crouzet-Pavan analyse ici un fait urbain qui fut
exceptionnel dans le paysage de l'Europe occidentale. En portant le regard sur les groupes sociaux et les individus, les espaces ou les monuments, elle dépeint comment, dans les crises et les conflits autant que l'harmonie mais au gré d'une dynamique
toujours forte et d'une capacité d'invention, ces villes vécurent, villes réelles, villes rêvées, villes voulues, villes diverses, villes heureuses, villes malheureuses, villes vivantes... Des villes vivantes aussi parce que confrontées à bien des interrogations de la cité d'aujourd'hui...
Elisabeth Crouzet-Pavan est professeur d'histoire du Moyen Age à l'université de Paris-Sorbonne. Spécialiste de l'histoire de l'Italie, ses travaux portent sur les derniers siècles du Moyen Age et la Renaissance.
La rencontre du chevalier et du savoir au XIIe siècle peut sembler paradoxale. Pourtant, elle se mêle inextricablement à la renaissance intellectuelle de cette période, mouvement décisif pour l'histoire de l'Occident. Le chevalier n'évolue pas seulement sur les champs de bataille, mais aussi dans les cours de plus en plus cultivées et raffinées. Son intérêt pour les classiques latins, son goût pour la lecture, voire sa propre poésie prouvent tout le contraire. Ce mécène éclairé a appris dans son enfance à lire en latin dans le psautier de sa mère aimante. Il patronne les jongleurs, il discute de littérature avec les clercs, à la fois intellectuels avant la lettre et prêtres, qui essaient au passage de réformer sa conduite, souvent brutale. Au fur et à mesure que leur culture livresque se développe, les chevaliers apprennent à réprimer leur propre violence à la guerre. Leurs lectures leur apprennent également les mots pour parler courtoisement aux femmes. À table, les contenances sont désormais de mise, tout comme la préciosité du langage, l'élégance des vêtements ou la mesure des gestes. Une révolution mentale est ainsi en oeuvre chez les élites laïques, qui, au contact avec le clergé savant, apprennent à mettre leurs armes au service du bien commun sous la direction du roi. Contre Norbert Elias, Martin Aurell démondre que la civilisation des moeurs a commencé quatre siècles plus tôt.
Le 27 janvier 1511, l'île de Murano est le théâtre d'un événement exceptionnel : le podestat de Venise, chargé d'exercer le pouvoir dans l'île au nom de la Sérénissime, est chassé par les habitants sous une volée de boules de neige et au son d'une clameur hostile. Comment interpréter cette « révolte des boules de neige » ? Simple charivari populaire, en période de carnaval, ou véritable révolte politique, dirigée contre la domination vénitienne ?Pour en comprendre le sens, il faut partir à la découverte de Murano et de ses habitants, verriers, artisans et pêcheurs. Cette plongée étonnante dans la vie populaire de la lagune, dans le quotidien des ateliers du verre de Murano et dans les rouages politiques de la république de Venise invite à réfléchir aux compétences politiques des gens ordinaires dans l'Europe du xvie siècle. Pourquoi et comment se révolte-t-on ? Quel sens de la justice anime les habitants de Murano ? Quelles sont les formes politiques à leur disposition ? Ce sont quelques-unes des questions que pose Claire Judde de Larivière dans La révolte des boules de neige.
Le sel est à l'époque le conservateur des aliments et son exploitation (sel gemme, marais salants) est d'autant plus profitable aux caisses du royaume qu'il est frappé d'un impôt, la gabelle, collecté par quelques monopoleurs qui avancent et prêtent à l'État. C'est en dépouillant des liasses de minutes notariales relatives aux litiges entre ces puissants réseaux et l'État que Daniel Dessert, à travers l'étude des ministères Richelieu, Mazarin et Colbert, opère un renversement historique révolutionnaire de ce qu'on a convenu d'appeler la monarchie absolue : l'examen du microcosme des bailleurs de fonds de « Messieurs des Gabelles » montre qu'il s'agit d'une minorité puissante et fortunée qui aide la monarchie dans un cadre contractuel et contraignant. Le système fisco-financier et in fine l'essor de l'État moderne reposent sur leurs épaules.
Ce petit livre magistral remet en cause deux images d'Épinal colportées par l'enseignement traditionnel de l'histoire : celle qui fait de Richelieu et Colbert des serviteurs intègres de l'État (Mazarin l'étranger présenté comme une contre-image), celle qui confère un pouvoir sans partage à un monarque dépendant, en fait, des « oligarques » qui alimentent une trésorerie sans cesse mise à mal par la guerre de Trente ans contre les Habsbourg à l'extérieur et par l'apparat de la souveraineté à l'intérieur.
Les choses aujourd'hui banales ne l'ont pas toujours été. De l'alimentation à l'habitat, la vie de nos ancêtres était conditionnée par les excès ou les insuffisances de la nature, et les objets qu'ils utilisaient chaque jour passaient d'une génération à l'autre, sans que nul ne songe à en acquérir de nouveaux. C'est à une vaste réflexion sur le passage de cette société traditionnelle à la société moderne que nous invite ici Daniel Roche.
Les changements sont perceptibles bien avant la Révolution. Dès le XVIIe siècle, l'exemple des villes et des riches, le développement des échanges commerciaux, la multiplication des innovations et des inventions commencent à bouleverser le rapport que les hommes entretiennent avec les objets. Les exigences et les sensibilités de chacun évoluent. Peu à peu, car " tous nos besoins se tiennent ", les modes de vie vont se transformer: les maisons et leur ameublement, leur chauffage et leur éclairage; les vêtements et la nourriture, sous l'effet de l'accélération des modes et de la montée du goût; ou encore les usages de l'eau, liés à un souci d'hygiène croissant.
Autant de changements dans la vie matérielle qui sont les prémisses de la société de consommation, et dont les répercussions sont aussi bien sociales que politiques. L'homme entouré d'objets n'est-il pas prisonnier, se demande Rousseau? A peine apparaissent les premiers signes de l'accroissement de la production que déjà s'engage un débat sur la valeur morale des choses, sur l'écart qui se creuse entre le développement du commerce et de l'industrie, gage de la civilisation, et le recul des solidarités entre les hommes.
Daniel Roche est professeur à l'université de Paris-I et directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Lumières, en particulier Les Républicains des Lettres (Fayard, 1988), La Culture des apparences (Fayard, 1989) et La France des Lumières (Fayard, 1993), il a reçu le Grand Prix national d'histoire pour l'ensemble de son oeuvre.
La publication de ces textes inédits, dix ans après Magistrats et sorciers dans la France du XVIIe siècle, a relancé le débat sur le véritable rôle des poursuites intentées aux sorcières dans l'ancienne France. Ceux qui y prennent la parole viennent de tous les horizons: juristes, médecins, théologiens. Leurs témoignages reconstituent l'atmosphère polémique du temps autour des grandes et petites affaires qui passionnèrent une partie de l'opinion.
Au fil de leurs récits, comme le montre Robert Mandrou dans sa présentation, le scepticisme à l'égard de l'intervention de Satan dans les affaires humaines progresse. En fait, les documents rassemblés ici révèlent deux mondes profondément différents. Les possédées citadines, en elles-mêmes source de scandale parce qu'elles appartiennent à la bourgeoisie et à la petite noblesse, comme c'est le cas à Loudun, et les sorcières villageoises, dont les bûchers n'émeuvent guère que leurs proches.
Ces textes mettent aussi en évidence la volonté du pouvoir politique de ne pas laisser se multiplier les foyers d'infection satanique qui désolaient la plupart des provinces. L'ordonnance de Colbert transformant la sorcellerie en délit d'escroquerie (1682) fut une solution radicale. Comme Malebranche l'écrivait, là où les sorciers ne sont pas poursuivis, il n'y en a pas.
Depuis le XVIe siècle le destin des hommes- qu'ils le
veuillent ou non- se déploie sur une scène planétaire.
Au début des années 1520, alors que Magellan fait voile
vers l'Asie par la route de l'Ouest, Cortés s'empare
de Mexico, et des Portugais, installés à Malacca, rêvent de
coloniser la Chine. L'Aigle aztèque se laisse anéantir, mais le
Dragon chinois élimine les intrus - non sans avoir récupéré
leurs canons.
Ces deux épisodes marquent une étape déterminante dans
notre histoire. Pour la première fois, des êtres originaires de
trois continents se rencontrent, s'affrontent ou se métissent.
Le Nouveau Monde devient inséparable des Européens qui
vont le conquérir. Et l'Empire céleste s'impose, pour
longtemps, comme une proie inaccessible.
Serge Gruzinski raconte ce face-à-face avec des
civilisations que tout séparait, mais qui, il y a cinq siècles, fascinaient déjà les
contemporains. Dans cette nouvelle et superbe exploration des
mondes de la Renaissance, il démonte les rouages de la mon-
dialisation ibérique qui a fait de l'Amérique et de la Chine
des partenaires obligés pour les Européens.Serge Gruzinski, historien de renommée internationale (directeur
de recherche au CNRS, il enseigne en France, à l'EHESS,
et aux-Etats-Unis, à l'université de Princeton), est l'auteur de
nombreux ouvrages dont La Pensée métisse (Fayard, 1999) et
Les Quatre Parties du monde (La Martinière,2004).
Face au retour de Napoléon échappé de l'île d'Elbe et débarqué à Golfe-Juan le 1er mars 1815, quels furent les états d'âme d'un préfet ou d'un général, d'un maire ou d'un officier de gendarmerie placés devant leurs responsabilités et ne disposant que d'informations fragmentaires et tardives, souvent déformées par la rumeur et la propagande? Pour eux, où est le droit? Où est l'honneur à défaut du droit? Plus prosaïquement, en cas de mauvais choix, ne faut-il pas prévoir la mort, la prison ou l'exil? Rester neutre? Difficile. Gagner du temps pour se rallier ensuite au vainqueur? Solution sage sinon honorable, mais dans de nombreux cas impossible. Il faut se décider dans la minute.
Ce livre évoque ceux qui furent placés par leur conscience devant le devoir d'obéissance, le respect d'un serment, l'intérêt du pays... ou leur propre intérêt.
La crise dura vingt jours. Vingt jours dont les conséquences pèsent encore sur nous.
Membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques), professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne, Jean Tulard a publié plusieurs dizaines d'ouvrages sur la Révolution et l'Empire, dont Napoléon, Murat, Fouché, et a dirigé le Dictionnaire Napoléon et le Dictionnaire du Second Empire (Fayard).
Pour de nombreux historiens et écrivains, les croisades auraient été une pulsion unanime des Occidentaux pour conquérir les territoires des religions concurrentes et imposer partout leur culture. Encore récemment des films et des discours politiques ont véhiculé ce mythe. Ce livre rompt définitivement avec le fantasme d'un consensus autour des guerres des croisés, ces pèlerins armés partis conquérir les lieux saints, soutenir les royaumes chrétiens d'Orient, voire rétablir la foi catholique dans des provinces dissidentes, en particulier contre les Cathares. Au terme d'une enquête minutieuse à travers les archives et les chroniques médiévales, Martin Aurell fait resurgir les puissantes voix des chrétiens qui se sont élevés contre le pape et les princes prétendant libérer Jérusalem par la force, alors même que Jésus avait refusé à Pierre le droit de prendre le glaive pour se défendre en ce même lieu. Il révèle comment des prêtres, des moines et même des troubadours se sont dressés contre les exactions des hommes d'armes. Ils ont condamné les pogroms en Allemagne, les violences des chevaliers envers des populations désarmées, le pillage des villes, l'avidité des grands ordres militaires, dont les Templiers, les Hospitaliers ou les Teutoniques. En réhabilitant les grandes consciences qui ont plaidé avec une étonnante précocité pour la tolérance, l'auteur réhabilite un humanisme ancré dans la foi. Ce livre constitue donc une première. Grâce aux auteurs critiques, il dévoile des pages sombres et méconnues de l'histoire des Croisades. Il modifie notre regard sur la violence au Moyen Age.
Deux siècles avant les événements de 1789, la Ligue constitue le phénomène révolutionnaire le plus radical et le plus ample qu'ait connu la France d'Ancien Régime: son programme ne prévoyait-il pas l'élection du roi, le choix des ministres et le vote des impôts par les états généraux, émanation de la nation? Vaille que vaille contenue jusqu'à l'assassinat de son principal chef, le duc de Guise, en décembre 1588, la colère de ceux qui refusaient de voir un jour un roi protestant sur le trône (le futur Henri IV) prit ensuite des proportions considérables.
A la guerre civile vint s'ajouter l'éclatement politique: en maintes régions, on vit surgir de véritables villes libres (Marseille, Lyon, Amiens, Morlaix, Saint-Malo et bien d'autres) pendant que Paris _ la " Jérusalem céleste " _, vivant dans l'attente messianique du royaume de Dieu, rejetait violemment l'autorité royale. Cette révolution eut ses factions, ses " journées ", son Thermidor. Il fallut tout le sens politique et l'énergie d'Henri IV pour en venir progressivement à bout et rétablir une vraie paix grâce à l'édit de Nantes en 1598.
Jean-Marie Constant, professeur d'histoire moderne et doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de l'université du Maine, spécialiste de la noblesse, a publié Les Guise (1984), La Vie quotidienne de la noblesse française aux XVIe et XVIIe siècles (1985, rééd. 1994), Les Conjurateurs (1987) et La Société française aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (1994).
Dans les royaumes des Temps modernes, la vie d'un prince était affaire d'Etat, et l'on suivait avec passion les étapes, de sa petite enfance à ses funérailles. Son destin était inséparable de celui des autres monarques, souvent ses parents. Les souverains constituaient aussi une société fermée au sein de la chrétienté et entretenaient des relations cruciales : François Ier et Henri VIII rivalisèrent de faste au Camp du drap d'or ; Louis XIV rencontra Joseph II voyagea incognito pour conseiller Marie-Antoinette et Louis XVI. Dans ce cercle des têtes couronnées, les rapports personnels définissaient les relations internationales, car ils signifiaient la guerre lorsque les monarques profitaient des crises de succession pour renforcer leur puissance, mais ils étaient également synonymes de apis lorsque les mariages princiers favorisaient les réconciliations.
Rassemblant de multiples témoignages sur les grandes dynasties, ce livre offre un tableau coloré de cette société européenne des souverains, dans laquelle l'émulation, les rivalités et les conflits n'excluaient pas des liens solides et où les femmes tenaient un rôle essentiel, puisqu'elles assuraient la continuité d'une maison et l'avenir de la monarchie. Il dévoile en particulier les règles et les lois secrètes de ce monde à part. Au fil du temps, l'humilité du prince chrétien laisse la place à une savante mise en scène de la majesté royale, puis les princes des Lumières cherchèrent à s'affranchir du carcan du cérémonial et à se rapprocher de leurs sujets.
Ancien élève de l'Ecole normale supérieure, Lucien Bély est professeur d'histoire moderne à la Sorbonne. Il est l'auteur de nombreux livres, dont Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV (1990), Les Relations internationales en Europe, XVIIe-XVIIIe siècle (1992), La France moderne (1994). Il a également dirigé le Dictionnaire de l'Ancien Régime (1996) et codirigé L'Invention de la diplomatie (1998).
S'il est des siècles obscurs dans l'histoire européenne, ce sont bien les ixe et xe siècles. Obscurs certes parce que les sources sont maigres, mais obscurs surtout parce que les historiens les ont réputés tels : négligeant le siècle et demi qui sépare le glorieux règne de Charlemagne du surgissement de la dynastie capétienne, ils n'ont pas tous su voir combien cette période a été importante. Qu'on l'envisage à travers l'évolution du statut des personnes, des techniques ou encore de la monnaie et des échanges, il est en effet évident, à qui sait vraiment lire les textes et faire siennes les découvertes de l'archéologie, que c'est au xe siècle - et non après - qu'il faut situer la première croissance de l'Occident. Dans l'Allemagne occidentale comme dans la France et l'Italie d'aujourd'hui (pays sur lesquels s'étendait jadis à peu près l'Empire carolingien), les phénomènes sont concomitants : mieux exploitée par davantage d'hommes socialement insérés dans une famille de type nouveau, la terre donne de meilleurs rendements, ce qui enclenche le cercle vertueux d'une première croissance. A cette aune, les successions dynastiques, les révolutions de palais et les guerres sont des épiphénomènes sur lesquels on aurait tort de s'attarder trop longuement.
Multipliant les enquêtes et études de cas précis sur des questions qui passaient pour insolubles en déployant une érudition époustouflante - et toujours passionnante -, Pierre Toubert donne ici un livre pionnier qui sera, n'en doutons pas, le point de départ d'un profond renouvellement historiographique.
Cette grande synthèse en quatre volumes retrace l'histoire d'un "empire" et des réactions qu'il suscita en son temps. Empire au sens d'"influence" d'abord, celle que les idées, la culture et les ambitions hégémoniques françaises exercèrent sur cette époque, dans le prolongement du Grand Siècle, du siècle des Lumières et, bien sûr, de la Révolution. C'est ainsi que l'aventure napoléonienne peut se replacer dans la longue durée. Empire au sens d'"institution" aussi, en ce que les gouvernements français imaginèrent des structures, avec leur fonctionnement et leur unité politique, afin de conquérir et d'organiser l'espace européen (et au-delà) pour réunir des peuples sous leur bannière par l'adhésion, l'intégration, la domination ou la suzeraineté. Si l'on ne peut échapper à la présence permanente de la volonté, de la personnalité et de l'oeuvre de Napoléon qui ont marqué la période de leur empreinte, et si les développements de ce livre ont pour clef de voûte le coeur même de l'Empire (dans les deux sens évoqués plus haut), c'est-à-dire la France, il faut aussi "raconter" - en l'expliquant - un peu plus d'une décennie d'histoire de l'Europe, voire du monde, en dépassant à la fois la figure de l'empereur et les points de vue purement nationaux.
Ce troisième volume propose une réflexion "transversale" sur les principes directeurs, le fonctionnement, les moyens et les buts du régime napoléonien, et une véritable plongée dans la France impériale, qui couvrait la France actuelle, mais aussi la Belgique, la Hollande, le Luxembourg, une partie de l'Allemagne, de l'Italie et des régions balkaniques. Après la description de l'Etat napoléonien, de sa place au coeur de l'organisation sociale et de ses principes de fonctionnement, sont esquissés les contours de la société, de son socle paysan à son économie, en passant par sa structure et le positionnement fluctuant des grands courants politiques. Le livre revient ensuite sur le projet napoléonien pour une Europe qui hésita longtemps entre la soumission et la résistance, en proposant une réflexion sur la géopolitique européenne de l'époque, la diplomatie impériale, ses outils d'unification, ses limites et les forces centrifuges qu'elle déchaîna.
Venant après sept édits de pacification, tous éphémères, l'Edit de Nantes suscita peu d'étonnement lors de sa promulgation, comme si rien ne pouvait être acquis dans le domaine de la tolérance. Dans une France où " ceux de la Religion " étaient soumis à mille vexations dans l'exercice du culte et dans leur vie quotidienne, qui aurait pu imaginer que cette paix serait " perdurable " et qu'elle serait, ainsi que le proclamait le texte de l'édit, " le principal fondement du rétablissement de l'Etat en sa première grandeur "?
C'est la gestation de cette paix, depuis longtemps revendiquée par une minorité, que relate ce livre. On y voit comment dans un pays déchiré par des troubles autant civils que religieux, Henri IV et une poignée de ses sujets ont su apaiser les passions et gagner les Français à l'idée de tolérance. Faire coexister deux religions dans un royaume: l'idée était encore nouvelle en Europe et, pour la réaliser, il faudra toute l'intelligence politique du roi mais aussi la pression des assemblées protestantes.
Après des mois de discussions au cours desquelles les députés huguenots et les conseillers royaux font l'apprentissage de l'art de la négociation, le traité est enfin signé. C'est en fait un compromis entre les exigences des uns et des autres, puisque les réformés obtiennent la liberté de conscience et l'égalité des droits mais non l'entière liberté de culte. Au bout du compte, l'Edit de Nantes restitue à l'Eglise romaine sa suprématie tout en assurant aux protestants une place dans le renouveau de la civilisation française.
Janine Garrisson, professeur émérite des universités, est l'auteur de nombreux livres sur l'histoire politique et religieuse du XVIe siècle. On lui doit en particulier Les Protestants au XVIe siècle (Fayard, 1988 et 1997) et Marguerite de Valois (Fayard, 1994). Elle a également présenté une édition annotée de l'Edit de Nantes (Atlantica, 1997).