Visitant les sanctuaires et les cloîtres romans, qui ne s'est un jour interrogé sur la signification des nombreuses scènes historiées non bibliques où s'entremêlent dans des postures extravagantes hommes, animaux, monstres et végétaux ? Leur agencement complexe et leur présence répétitive peuvent difficilement les réduire à la seule fonction décorative. Des années durant, l'auteur est allé d'église romane en église romane et a collecté des centaines d'images. Enfin, s'appuyant sur les travaux d'illustres prédécesseurs historiens de l'art, il livre ici son interprétation de ces images de pierre, dans une réflexion éloignée de tout ésotérisme. Sans jamais asséner au lecteur de vérité définitive, avec une rigueur soutenue par une immense érudition et une belle écriture, il propose donc un surprenant voyage vers l'invisible, appelant à entrer dans ce monde souvent caché aux yeux d'aujourd'hui.
Et, s'il ne le soulève sans doute pas totalement - mais comment serait-ce possible ? -, Pierre-Yves Le Prisé contribue toutefois largement, à travers cet ouvrage, à écarter le voile qui assourdit le langage lointain des sculpteurs romans.
Le mot "collège" ne doit pas tromper. Il s'agit de collèges universitaires médiévaux dont l'importance dans l'histoire de France a été considérable : ces établissements s'inséraient dans un mouvement européen qui souhaitait permettre à de "pauvres clercs" d'étudier, en leur offrant le gîte et le couvert. Grâce à l'impulsion décisive donnée par le pape d'Avignon Innocent VI et plusieurs dignitaires de la Curie, leur succès fut net dès le milieu du XIVe siècle. Le mouvement de création de collèges se poursuivit durant le XVe siècle et ils finirent par regrouper un nombre non négligeable d'étudiants. Dotés de statuts, d'une maison, de rentes et de bénéfices destinés à assurer des bourses, d'un encadrement spirituel avec bibliothèque et chapelle, ils eurent en commun d'évoluer vers une relative autonomie : la communauté recrutait ses condisciples et élisait en son sein un responsable de la discipline et de la gestion. Les boursiers devaient supporter un long séjour et une sévère discipline, mais ces sacrifices ne furent pas inutiles : l'examen de leurs carrières démontre que les collèges de juristes des universités de Cahors et Toulouse ont bien produit une élite au service de l'Église et de l'État.
Cette étude très complète apporte donc un éclairage inédit sur un aspect essentiel de l'histoire de France et, parallèlement, sur un pan méconnu de l'histoire des idées.
Catharisme au vrai visage... visage humain, visage vivant. On ne trouvera pas ici une vaine construction de cette imagination « combleuse de vide » qui, depuis le début du XXe siècle, porte tant d'auteurs à fabriquer un catharisme mythologique à petits renforts de trésors cachés, de Graals pyrénéens, d'inédits de Platon ou de rêves bouddhistes.
Le catharisme fut l'un des grands courants du Moyen Âge chrétien : particulièrement, mais non exclusivement implanté en Occitanie, déraciné par le fer des armées catholiques, les procédures de Rome et les bûchers, il disparut de l'Histoire à la fin du XVe siècle, laissant, par-delà une longue oblitération, un message vivant, tiré de la mémoire des documents médiévaux. Christianisme sans damnation éternelle et sans croix, le catharisme refusa le mal et la violence et crut en la bonté fondamentale de la nature humaine.
Le vrai visage du catharisme, celui des Bons Hommes dont le bâton sonnait de bourg en château, de ville en désert clandestin, celui des croyantes entraînant ceux qu'elles aimaient dans leur aventure et dans leur foi, c'est le visage que les cathares nous montrent à travers le miroir dépoli des manuscrits et du temps.
Vivre en ville... Consacrée à une période historique précise, celle de presque un siècle durant lequel la papauté quitta Rome pour s'installer en Avignon, cette étude de vie citadine va bien au-delà des caractéristiques plus ou moins particulières de telle ou telle ville au Moyen Âge : la manière d'y vivre, ce qui s'y trame, les luttes d'influence et de pouvoir sont de toutes les grandes cités de l'époque. On assiste ici à la confrontation des puissances déjà existantes ou naissantes, et très souvent le rapport à notre époque contemporaine est évident et peut faire sourire : au XIVe siècle comme aujourd'hui, on doit vivre ensemble, et c'est loin d'être si évident : ce livre est émaillé de renseignements précis, parfois (souvent) savoureux, d'histoires plus ou moins croustillantes, et on y apprendra entre autres choses que ce que nous appelons "abus de bien social" ne date pas d'hier, pas plus que les pressions, les faux en écriture, les malversations de toutes sortes, y compris financières ! Autour de cela, le peuple de la ville naît, vit et meurt en profitant autant que possible des joies de l'existence, subissant les aléas de l'Histoire. Ce livre est la riche "vie quotidienne" d'une grande cité au temps des papes d'Avignon, et il possède sans aucun doute valeur d'exemple.
De victoires en défaites, trois années durant, de 1798 à 1801, le capitaine Thurman, officier du génie à l'armée d'Orient, fut de tous les combats, dans les sables du désert, sur les rives du Nil, dans les fortins des côtes du Delta, « entre l'Arabe, l'Anglais et la peste », d'Alexandrie aux Pyramides, au Caire, à Gizeh, Aboukir...
Ces Chroniques portent un regard rare sur un métier que les guerres de la Révolution et de l'Empire ont porté au sommet de son art. Emploi obscur que celui de la poignée d'hommes chargés de creuser les sables brûlants des déserts, de dresser les cartes, de partir en éclaireurs vers les oasis propices aux embuscades et de ponter la multitude de canaux du delta du Nil que les cavaliers de Murat et les fantassins de Desaix avaient pour mission de conquérir. Mais sans eux, bien des victoires n'auraient pas été possibles. Dans ce style presque intime propre aux correspondances et dans cette belle langue du XIXe siècle, c'est toute la campagne d'Égypte que raconte Louis Thurman, entre fortifications, charges de cavalerie et tonnerre du canon. Par l'emploi qu'il occupait, c'est un visage peu connu de cette guerre qu'il montre ici avec précision et clarté.
En 1793, la Convention décrète la "levée en masse". L'Ouest se soulève. De nombreux paysans s'équipent d'armes de fortune et commencent à organiser la résistance à ceux qu'ils appellent les "Bleus". Parmi ces hommes qui refusent de combattre pour la République et entendent rester fidèles au roi, se trouve Michel Moulin, fils d'artisan : très vite, se révélant habile meneur d'hommes et fin connaisseur de son bocage natal, celui que ses compagnons d'armes surnomment Michelot devient l'homme de confiance de Louis de Frotté, jeune général de l'Armée catholique et royale de Normandie.
Les Mémoires de Michelot Moulin, publiés en 1893 et jamais réédités jusqu'à aujourd'hui, décrivent dans un style alerte l'organisation de la chouannerie, l'âpreté des combats et les délicates relations humaines au sein de ce monde clos. Après l'exécution de Louis de Frotté, tandis qu'il tente de réintégrer la vie civile, Moulin est arrêté et emprisonné au fort de Joux, en Franche-Comté, d'où il s'évade dans des conditions rocambolesques. Puis il parcourt l'Europe pour échapper à la police impériale et trouve refuge à Londres. Là, il découvre un autre monde, celui de l'émigration et de ses royalistes intransigeants. Et c'est à Londres que va commencer pour lui une nouvelle vie, celle d'espion au service du roi : envoyé en France pour préparer le retour des Bourbons, il livre ainsi un témoignage de première main sur les milieux interlopes des passeurs, des réseaux plus ou moins fiables, entre gendarmes, policiers et gardes-côtes.
Le récit de Michelot Moulin est original à plusieurs titres : il est rare d'avoir, sur la guerre civile qui a ensanglanté les années 1790, le témoignage d'un homme sorti du rang ; il est également peu fréquent qu'un roturier, adhérant à la cause royaliste, nous livre ses impressions, parfois amères, sur le milieu de l'émigration ; il est enfin précieux d'avoir en un même récit, sur plus de vingt ans, les différents visages de la contre-Révolution.
En l'année 1522, l'annonce de la prise de Rhodes par l'armée de Soliman le Magnifique éclata comme un coup de tonnerre qui retentit de l'Europe du nord aux confins de l'empire ottoman. Ce fut à la suite de cette bataille perdue que l'Ordre des Hospitaliers, contraint de quitter Rhodes, reçut l'île de Malte et devint l'Ordre de Malte. Cet ouvrage rassemble des documents dont les premiers (textes français, espagnols et turcs) sont des témoignages directs de la prise de Rhodes elle-même. Les textes italiens et anglais, beaucoup plus littéraires et postérieurs d'un siècle environ à l'événement, montrent comment s'opère le passage de l'histoire au mythe. Chaque texte est introduit par une analyse historique qui lui est propre ; ainsi le lecteur pourra-t-il juger des causes de l'événement, des enjeux, mais également des conséquences de la défaite, dont il est à peu près certain qu'elles influencent encore de nos jours, dans certains pays, même de manière inconsciente, bien des prises de position relatives à la Turquie. Enfin, chaque auteur, spécialiste dans sa discipline de la période étudiée, a rejoint le souhait commun d'offrir au lecteur des textes indisponibles en français, voire tout à fait inédits pour certains d'entre eux. Et, afin que l'éclairage soit complet, il a été jugé essentiel d'inclure également dans cette publication plusieurs textes ottomans, pour donner aussi la parole à « l'autre », à l'ennemi, à celui dont on parle ou que l'on fait parler sans jamais vraiment l'écouter.
Barthélemy Bonis, marchand. Et surtout, Barthélemy Bonis, témoin de son temps.
Ses livres de comptes, conservés, s'avèrent aujourd'hui constituer une source précieuse pour l'étude des mentalités et de la vie quotidienne au XIVe siècle. En effet, si Barthélemy Bonis tenait ses affaires et ses chiffres à jour, il commentait également, expliquait et précisait. On peut ainsi, grâce à lui, savoir quels étaient les médicaments en usage à son époque, découvrir l'armement ou l'art de la fortification, connaître ce que l'on mangeait - jusqu'aux sucreries ou aux épices -, ou encore apercevoir vêtements et tissus du temps... Ainsi, l'ouvrage d'Emmanuel Moureau fourmille de renseignements historiques précis et uniques.
Cette publication d'une source exceptionnelle convie donc le lecteur à entrer par la petite porte du quotidien dans ce lointain et passionnant XIVe siècle, en donnant la parole à celui qui savait tout du détail, puisqu'il avait pour métier d'acheter et de vendre à peu près tout ce qui pouvait alors faire l'objet d'un commerce !
Frédéric Guillaume de Vaudoncourt fut l'un des généraux de Napoléon. Publiés en 1835, ses Mémoires d'un proscrit n'ont étonnamment jamais été réédités, bien qu'ils constituent un témoignage précieux, de grande valeur historique et littéraire. C'est donc chose faite.
Dans ce premier volume, qui couvre les années 1812 à 1815, le général Frédéric Guillaume de Vaudoncourt retrace brillamment les dernières années de l'Empire : engagé volontaire dans les armées de la République, puis appartenant à l'élite militaire de Napoléon Ier, il s'avère fin connaisseur des hommes et des idées de son temps. Avec un véritable talent d'homme de lettres, il mêle dans son récit l'épopée impériale à sa propre histoire : le désastre de Russie (1812), le retour des Bourbons (1814) et l'aventure des Cent-Jours (1815) sont aussi des expériences personnelles, racontées avec sobriété. Rédigés peu après les faits, ces Mémoires livrent une autre vision des événements épiques qui ont bouleversé la France et l'Europe au début du XIXe siècle, et c'est donc un regard rare, dénué du voile de la nostalgie napoléonienne, qu'ils proposent aux lecteurs d'aujourd'hui.
Chilpéric Ier est l'un des rois de France les plus mal connus, et le peu que l'on sait de lui n'est certes pas à son avantage.
Né aux environs de 527, mort assassiné en 584, il est pourtant le petit-fils de Clovis et le grand-père de Dagobert. Mais il s'est vu rejeté très tôt dans les ombres les plus épaisses de l'Histoire, notamment par le portrait au vitriol qu'a fait de lui un contemporain célèbre : celui d'un roi cruel et violent, une sorte de Barbe Bleue des temps obscurs. Chilpéric Ier est donc mort deux fois : assassiné d'abord, puis exécuté "médiatiquement" par Grégoire de Tours, puisque c'est le portrait brossé par celui-ci qui nous reste aujourd'hui encore, jusqu'à passer pour vérité indiscutable. Certes, comme tous les puissants de ces époques reculées, Chilpéric fut au coeur d'une tourmente de guerres, parfois fratricides, de meurtres et d'intrigues. Fut-il pour autant un monstre ?
Frédéric Armand s'attache ici, non pas à entreprendre la réhabilitation en règle de Chilpéric Ier, mais bien à le présenter sous un jour enfin débarrassé des a priori et des images toutes faites. Qui était donc ce roi, grand oublié de l'Histoire ? Fut-il le criminel sanguinaire décrit par Grégoire de Tours, ou simplement un homme de son temps, avec ses défauts et ses qualités ? C'est à ces questions, entre autres, que s'efforce de répondre cet ouvrage passionnant.
Jean de Tournai est connu par le récit qu'il a rédigé de son triple voyage à Rome, Jérusalem et Compostelle, ainsi que par son testament.
Riche marchand de Valenciennes, il est au coeur d'un large réseau de relations, notamment des marchands allemands ou anversois. Ce réseau a des prolongements jusqu'en Italie, où il rencontre des connaissances liées au monde des affaires. Comme tout bon marchand de son époque il sait compter, parle un peu latin, un peu italien.
Toutefois, la grande parenthèse de la vie de Jean de Tournai est le pèlerinage à Rome, Jérusalem et Compostelle, qu'il accomplit du 25 février 1488 au 7 mars 1489. Il est curieux, observateur, il raconte son voyage avec précision et un évident souci d'exactitude, aussi bien quand il évoque la vie à bord du bateau, celle autour des Lieux Saints à Jérusalem, ou encore celle dans les auberges au long de son chemin. Il le fait avec ironie parfois, souvent avec humour. Riche d'une multitude de renseignements sur les lieux traversés et leurs coutumes, sur les monnaies, sur les personnages croisés aux hasards du parcours, son livre est donc une source historique précieuse, en même temps qu'un beau récit de voyage en ce monde de la fin du Moyen Âge.
Ce serait un roman dont tous les héros auraient existé, un roman dont tous les événements ou presque seraient attestés, un roman qui rendrait à ses personnages les paroles qu'ils ont effectivement dites, aux bons hommes cathares les prédications qu'ils ont réellement prononcées et les gestes précis de leur rituel chrétien, aux inquisiteurs la lettre de leurs interrogatoires et de leurs sentences et l'acharnement impitoyable de leurs condamnations.
Par son écriture lumineuse et riche, où l'émotion surgit à chaque phrase, Anne Brenon nous emmène à l'aube du XIVe siècle sur les traces de Guillelme Maury, de Montaillou, pour nous faire partager une très belle histoire d'amour et de foi, une histoire qui est extraordinaire parce qu'elle est vraie.
Très jeune, Guillelme Maury accomplit ce qui, à cette époque, était presque impensable pour une femme : au nom de ses choix amoureux et religieux, elle quitte un mari brutal et s'engage tout entière, à contre-courant, sur le chemin de sa liberté, jusqu'à y consumer sa vie. Dans ce triste hiver du catharisme, on accompagne avec angoisse, et en même temps avec une infinie tendresse, le parcours exemplaire et juste d'une jeune femme si éloignée de nous en apparence... et pourtant si proche.