Autour de Florian Mazel, les meilleurs spécialistes de la période médiévale nous offrent une ambitieuse synthèse qui propose, à la lumière des recherches les plus récentes, et en cheminant au fil d'une soixantaine de textes et d'une centaine d'images, un nouveau récit du Moyen Âge européen.
« Le Moyen Âge est une séquence de temps qui n'a pas d'âge, hors d'âge si l'on veut, et son altérité est profonde. Mais cette étrangeté, le dépaysement que l'on peut éprouver en ses allées, n'est ni sans charme ni sans intérêt. Le Moyen Âge représente en effet, par son altérité même, un extraordinaire lieu de vagabondage et un remarquable terrain d'exercice pour l'esprit critique, où réfléchir entre autres choses, à relative distance des passions contemporaines, aux relations entre public et privé, communauté et identité, hiérarchies et solidarités, rôle et statut, mémoire et histoire, violence et solidarité, droit et tradition, don et échange, imaginaire et identité, institution et pouvoir, croissance et environnement... Qui trouverait la chose inutile ? »
Florian Mazel
Florian Mazel est professeur à l'université de Rennes 2. Ses recherches sur l'aristocratie et l'Église l'ont imposé comme l'un des meilleurs historiens médiévistes français spécialistes de la société féodale. Il a publié en 2010 une magistrale synthèse Féodalités, 888-1180 (volume de « L'Histoire de France » dirigée par Joël Cornette aux éditions Belin) et en 2016 au Seuil L'Évêque et le territoire. L'invention médiévale de l'espace (Ve-XIIIe siècle). Il a par ailleurs participé, en tant que coordinateur, à L'Histoire mondiale de la France, dirigée par Patrick Boucheron (Seuil, 2017).
Une histoire symbolique
du Moyen Âge occidental
Les procès intentés aux animaux, la mythologie du bois et des arbres, le bestiaire des fables, l'arrivée du jeu d'échecs en Europe, l'histoire et l'archéologie des couleurs, l'origine des armoiries et des drapeaux, l'iconographie de Judas, la légende du roi Arthur et celle d'Ivanhoé : tels sont quelques-uns des sujets traités par Michel Pastoureau dans cette " Histoire symbolique du Moyen Âge occidental ".
L'auteur, qui construit cette histoire depuis trois décennies, nous conduit ainsi sur des terrains documentaires variés : le lexique et les faits de langue, les textes littéraires et didactiques, les armoiries et les noms propres, les images et les œuvres d'art. Partout, Michel Pastoureau souligne avec force combien cette histoire symbolique des animaux et des végétaux, des couleurs et des images, des signes et des songes, loin de s'opposer à la réalité sociale, économique ou politique, en est une des composantes essentielles.
Pour l'historien, l'imaginaire fait toujours partie de la réalité.
Al-Andalus continue de susciter fantasmes, nostalgie et projections de toutes sortes. Tour à tour érigée en haut lieu de la tolérance islamique, en paradis perdu dont ne subsistent que de délicats palais et l'écho lointain d'un art de vivre disparu, mais aussi en théâtre d'une lutte à mort entre Islam et Chrétienté, elle est l'une des rares terres ayant donné naissance à des mythes aussi riches que contradictoires.
Ce morceau d'Europe qui fut à l'Islam a heureusement laissé des textes qu'Emmanuelle Tixier du Mesnil se propose de relire, en regardant plus particulièrement la très riche moisson intellectuelle du XIe siècle, lorsqu'une vingtaine de principautés, les royaumes des Taïfas, se partageaient les lambeaux du territoire califal. Ce temps de tous les dangers, alors que menaçaient tant les rois chrétiens du nord de la péninsule que les guerriers berbères du Maghreb, fut celui d'une grande inventivité politique (l'Espagne islamique expérimentait deux cents ans avant l'Orient la disparition du califat), mais aussi celui d'une très belle floraison culturelle. Pouvoir et savoir nouèrent dans ce théâtre d'exception des liens très solides au cours d'un beau XIe siècle dont il faut restituer le déroulement et la complexe histoire. Les princes andalous firent de la culture un projet politique, un ferment de légitimité, le moyen de la concurrence entre eux, contribuant à fixer pour des siècles l'image d'une péninsule savante.
Professeur d'histoire médiévale de l'Islam à l'université de Paris Nanterre, Emmanuelle Tixier du Mesnil est spécialiste de la géographie arabe médiévale et de l'histoire d'al-Andalus. Elle est notamment l'auteur d'Al-Andalus. Anthologie, en collaboration avec Brigitte Foulon, (GF Flammarion, 2009) et de Géographes d'al-Andalus. De l'inventaire d'un territoire à la construction d'une mémoire (Presses universitaires de la Sorbonne, 2014).
L'ordre du Temple est le premier exemple d'une création originale de la chrétienté médiévale occidentale : l'ordre religieux-militaire. Au XIIe siècle, dans le vaste mouvement de la réforme grégorienne et de la croisade, le nouveau chevalier du Christ, tel que saint Bernard l'a magnifié, prononce les voeux du moine, vit selon une règle, mais agit dans le siècle. Et de quelle manière ! Puisque, pour sa foi, il combat, il tue et il meurt. Créé pour protéger les pèlerins de Jérusalem reconquise par les croisés, il étend sa mission à la défense des États latins d'Orient, puis à l'Espagne de la Reconquista. Sa mise en accusation brutale, en 1307, par le roi de France Philippe le Bel, fut suivie d'un procès inique et de sa suppression en 1312. L'ordre du Temple est devenu le bouc émissaire d'un conflit qui le dépasse et qui fut exacerbé en France par la personnalité du roi et de ses conseillers : le conflit entre un pouvoir spirituel sur la défensive et l'État moderne qui s'affirme en Occident depuis le milieu du XIIIe siècle.
Pour en finir avec le Moyen Âge
Méprisés pendant des siècles, encensés par les romantiques, ces mille ans d'histoire ont presque toujours été recouverts de la crasse de l'ignorance. " Godiche " ne vient-il pas de " gothique " ? " Féodal " ne désigne-t-il pas l'obscurantisme le plus indécrottable ? " Moyenâgeux " les vieilleries poussiéreuses ?
Grâce à ce livre décapant, mille ans d'histoire resurgissent. Le Moyen Âge est mort, vive le Moyen Âge !
Régine Pernoud (1909-1998)
Diplômée de l'École des Chartes et de l'École du Louvre, conservateur du musée de Reims puis aux Archives nationales, elle a fondé le centre de documentation historique Jeanne-d'Arc, à Orléans.
Au-delà de la peur de manquer, de la famine, angoisse prégnante en Occident jusqu'à une période encore récente, il y a la crainte de manger du corrompu, du malsain, de l'immonde. En même temps que l'Occident a cherché à réduire la pénurie, il a progressivement mis sous surveillance l'ensemble de la chaîne alimentaire. Notre comportement contemporain vis-à-vis de la nourriture a onc une longue histoire que Madeleine Ferrières s'attache à reconstituer et à analyser.
Des règlements médiévaux de boucherie aux perspectives géniales de Giovanni Lancisi, médecin de la cour pontificale au début du XVIIIe siècle ; du conflit entre symbolique faste ou néfaste des aliments et médecine et hygiénisme, mais aussi, plus tard, avec la chimie et les sciences vétérinaires, à la peur des poissons, levures, plantes ou légumes importés d'autres horizons ; de la suspicion à l'endroit du cuivre ou des conserves à la mise en cause de l'air vicié des villes, l'Occident invente, avec précaution et prévention, un ordre alimentaire illustré de manière éloquente au début du XXe siècle par le Pure Food and Drug Act américain. Mais cette invention n'est pas allée sans une autre : celle du consommateur. Rassasié, revendiquant une " bonne bouffe ", prudent, voire savant ou se croyant tel, il appartient à l'utopie de l'abondance et de la sécurité.
Miroir formidable de notre Occidental way of life que cette question des peurs alimentaires !
Pour comprendre les mécanismes sociaux et idéologiques qui ont porté puis maintenu les Carolingiens au pouvoir, leur histoire est racontée depuis le principat de Charles Martel (années 710) jusqu'au moment où le dernier héritier est écarté du trône (991).
L'empire carolingien est le cadre spatial de cette histoire, même si elle est écrite du point de vue de la Francie occidentale : c'est là en effet que le gouvernement carolingien expérimente des solutions politiques innovantes et durables, comme les principautés.
Une initiation indispensable à un chapitre majeur de l'histoire médiévale, avec de nombreux extraits de sources traduites, un lexique, des cartes et des généalogies.
Ancienne élève de la rue d'Ulm, agrégée et docteur en histoire, Marie-Céline Isaïa est maître de conférences à l'Université Lyon3, et membre du CIHAM-UMR 5648. Elle consacre ses recherches à l'histoire des textes (hagiographie et historiographie) et à l'ecclésiologie en Occident avant le XIIe siècle.
Les femmes de la Renaissance florentine régnaient-elles sur la ville, comme tant d'images du Quattrocento et d'historiens depuis le XIXe siècle l'ont suggéré ? Cette vision idéalisée est-elle confirmée par la documentation historique touchant aux rapports de genre et à la vie familiale ?
En Toscane, dans la pratique, les femmes ne sont pas encouragées par le droit et la coutume à investir ou à gérer de façon autonome leurs affaires. La tradition confine les femmes dans la sphère domestique. Même les missions qui sont le plus volontiers abandonnées aux mères, l'éducation des tout-petits par exemple, tombent sous le feu de la critique des clercs. Christiane Klapisch-Zuber suit le fil de la vie des Florentines avant, pendant et après leur mariage. En étudiant les représentations mentales et figurées, elle éclaire les multiples facettes de la domination masculine dans une société renaissante où l'écriture et la culture sont largement partagées par les maris, mais encore fort peu par leurs soeurs et leurs épouses. L'historienne nous conduit ainsi, au-delà des témoignages et des images de l'époque qui sont presque toujours produits par des hommes, au plus près de la vie des femmes et de la manière dont elles ont vécu, entre exclusion et intégration.
Entre le Xe et le XIIIe siècle, l'Église a inscrit dans l'espace de l'Occident médiéval de nouveaux rapports de domination qui ne devaient pas grand-chose aux héritages de l'Antiquité tardive.
C'est tout l'enjeu de cet ouvrage profondément novateur de montrer que, loin de la vision transmise par les historiens du XIXe siècle, le pouvoir des évêques fut dans les siècles centraux du Moyen Âge le creuset d'une nouvelle souveraineté. Fondée sur un rapport territorialisé au peuple des fidèles à travers l'exercice d'une juridiction et d'une fiscalité spécifiques, elle allait inspirer les formes du gouvernement des États princiers ou monarchiques.
Florian Mazel est professeur à l'université de Rennes-2 et membre de l'Institut universitaire de France. Ses recherches sur l'aristocratie et l'Église en Provence l'ont imposé comme l'un des meilleurs historiens médiévistes français spécialistes de la société féodale. Il a publié en 2010 une magistrale synthèse Féodalités, 888-1180 (volume de " L'Histoire de France " dirigée par Joël Cornette aux éditions Belin).
Le bleu est la couleur de la France. Dans ce rôle ses origines sont anciennes : elles se situent vers le milieu du XIIe siècle, lorsque le roi Louis VII adopte deux attributs de la Vierge, le lis et l'azur, pour en faire les premières armoiries royales. Par ce choix, non seulement il rend hommage à la mère du Christ, patronne du royaume, mais surtout il tente d'effacer le souvenir d'une mort infâme qui, quelque temps plus tôt, a souillé tout ensemble la dynastie capétienne et la monarchie française : celle de son frère aîné Philippe, jeune roi de quinze ans, déjà sacré et associé au trône, tombé de cheval le 13 octobre 1131 à cause d'un misérable cochon de ferme vagabondant dans une rue de Paris.
L'ouvrage de Michel Pastoureau raconte cet événement insolite, oublié de tous les livres d'histoire, et étudie dans la longue durée ses multiples conséquences. À bien des égards, cet accident provoqué par un animal impur et méprisé, que les chroniques qualifient de porcus diabolicus, loin d'être anecdotique, apparaît comme un événement fondateur.
Quelque chose se passe au XVIIIe siècle qui permet au peuple d'exister en politique. Le goût pour l'information, la curiosité publique se développent dans un espace urbain qui met les individus en position de " savoir sur l'autre ". Le public vit entre le vrai et le faux, l'information et le secret, la rumeur et la publicité, le possible et l'invérifiable ; ses incertitudes, aiguisées par les manipulations politiques et policières, renforcent encore sa soif de savoir. Car le menu peuple veut connaître les ressorts qui animent les rumeurs sur l'assassinat du roi, ou encore les affaires du diables, de poisons, d'alchimie et d'autres magies.
Dans ce livre, Arlette Farge montre comment se construit une parole publique que les autorités craignent, pourchassent et incitent tout à la fois. Elle observe quelles sont les tactiques d'approche de la chose publique pour ceux qui en sont les exclus.
Avec Dire et mal dire, Arlette Farge nous donne un livre sur un sujet inédit qu'elle déchiffre dans les archives : l'opinion publique au XVIIIe siècle.
Le Moyen Âge fut peut-être l'âge d'or de cette diversité linguistique tant menacée de nos jours par la globalisation. Des langues héritières du passé, sacralisées par leur rôle de support des textes divins, y côtoyaient toutes sortes d'idiomes, aujourd'hui disparus ou marginalisés, comme à l'origine de nos modernités. Comment recréer ces paysages sonores où s'entrechoquaient des dizaines de cultures linguistiques, orales et écrites, guerrières et marchandes, globales et locales, populaires et savantes ?
Benoît Grévin aborde leur histoire dans une perspective anthropologique et comparative, par un aller-retour entre deux des grandes aires de civilisation qui conditionnent notre modernité : la chrétienté occidentale, dominée par la référence au latin impérial et papal, classique et biblique, sous l'égide duquel s'organise la multiplicité des cultures linguistiques romanes, germaniques, slaves, celtes, etc., et l'islam classique, où la centralité de l'arabe, coranique et poétique, scientifique ou dialectal, recouvre les histoires entrecroisées des cultures turques, iraniennes ou berbères...
De Londres à Samarkand, de la Sicile au Caire, Benoît Grévin nous entraîne bien au-delà de la présentation traditionnelle de ces cultures linguistiques, à travers l'étude de la pensée médiévale du langage, pour nous initier aux mécanismes de transmission des cultures textuelles, ainsi qu'aux procédures de rédaction des grands textes politiques, religieux ou littéraires, de part et d'autre de la Méditerranée. Il se donne ainsi les moyens de retrouver, derrière leurs différences, les caractéristiques communes à ces deux Babel médiévales.
Ancien élève de l'ENS d'Ulm-Sèvres, ancien membre de l'École française de Rome, Benoît Grévin est actuellement chargé de recherche en histoire médiévale au CNRS
Comment christianiser la guerre ? Comment s'assurer un corps de soldats disposé à remplir fidèlement et de manière permanente la défense de la chrétienté et sa mission de lutte contre "l'Infidèle" ? A ces deux questions, la chrétienté médiévale a répondu en créant, non sans quelques résistances, des institutions originales : les ordres religieux-militaires. Des hybrides, des "monstres" selon l'expression d'Isaac de l'Etoile, vivant comme des moines selon une règle, celle de saint Benoît ou celle de saint Augustin, sans pourtant en être tout à fait, agissant comme des chevaliers, non pas à l'image de ceux de cette caste aristocratique toujours prête à en découdre, ces chevaliers du siècle vilipendés par saint Bernard, mais des chevaliers du Christ, "revêtus de l'armure de fer et de l'armure de la foi". La Reconquista, les croisades ont favorisé l'expansion de ces ordres en Terre sainte, en Espagne et sur les rives de la Baltique. Avec l'affirmation des monarchies face au pouvoir pontifical, la méfiance grandissante des monarques à l'égard de ces puissances militaires devenues parfois de véritables Etats, la substitution progressive du thème de la mission à celui de la guerre, les ordres religieux-militaires perdent peu à peu de leur vitalité et sont acculés à la reconversion caritative. Alors naissent les légendes et les rumeurs auxquelles l'historien aujourd'hui fait un sort en rendant justice, dans une belle synthèse, à ces témoins éclatants de l'imagination institutionnelle des gens du Moyen Age.
Maître de conférences honoraire à l'université de Paris I - Panthéon-Sorbonne, il a mené des recherches sur l'histoire du Temple et des ordres religieux-militaires, ainsi que sur la croisade et l'histoire politique de la France à la fin du Moyen-Age. Au Seuil il a publié récemment Les Templiers (2005, Points Histoire, 2008) et Chevaliers et chevalerie expliqués à mes petits-fils (2009).
Ce livre a été initialement publié sous le titre
Chevaliers du Christ
Les ordres religieux-militaires au Moyen Âge
XIe-XVIe siècle
À l'échelle du globe, qu'est-ce qui circule, ou ne circule pas, entre les cultures ? Nous en faisons l'expérience à travers la mondialisation : nous vivons dans le flux immédiat des nouvelles du monde, cependant que, paradoxalement, nos vieilles façons de sentir persistent. Le démantèlement progressif d'univers cloisonnés n'est pas nouveau et il a notamment connu une prodigieuse accélération à l'orée des Temps modernes.
On en trouve ici une illustration dans la confrontation de deux textes quasi contemporains: une chronique du Nouveau Monde rédigée à Istambul en 1580, et un Répertoire des temps écrit à Mexico en 1606, qui s'attarde longuement sur l'Empire des Turcs. Pourquoi et comment les Turcs étaient-ils en mesure d'en savoir autant sur l'Amérique ? Pourquoi les lecteurs de Mexico se posaient-ils des questions sur les ottomans ? Pratiquant l'art du montage cinématographique, Serge Gruzinski fait dialoguer ces textes pour souligner les singularités de deux visions, celle de l'islam et celle de l'Amérique, déjà attentives l'une à l'autre et pourtant irréductiblement différentes. Avec, à l'horizon, une question : que voulait dire " penser le monde " à la fin de la Renaissance ?
Serge Gruzinski est directeur de recherche au CNRS et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire du Nouveau Monde (Fayard, 1991-1993), Histoire de Mexico (Fayard, 1996), La Pensée métisse (Fayard, 1999) et Les Quatre Parties du monde (La Martinière, 2004, Points-essais, 2006).
"Il y a longtemps que la place prise par Napoléon Bonaparte dans l'imaginaire national m'intrigue. Longtemps que je m'interroge sur la gloire qui s'attache à son nom. Longtemps que je suis frappé par la marque qu'il a laissée dans notre histoire.
Mon essai est celui d'un homme politique, informé des ressorts du pouvoir et animé d'une certaine idée de ce que sont, à travers le temps, les intérêts de son pays. J'ai eu envie de faire partager à des lecteurs un cheminement qui part d'une période cruciale de l'histoire de France et me conduit jusqu'à nos jours, afin d'éclairer certains aspects du présent.
Je ne m'inscris ni dans la " légende dorée " ni dans la " légende noire " de Napoléon. La gloire de l'Empereur est une évidence à laquelle je ne saurais porter atteinte. Je ne discute pas la grandeur du personnage, le talent du soldat, la puissance de travail de l'administrateur ni même le brio du propagandiste.
J'examine si les quinze années fulgurantes du trajet du Premier Consul et de l'Empereur ont servi la France. Si elles ont été fructueuses pour l'Europe. À mesurer l'écart entre les ambitions proclamées, les moyens déployés, les sacrifices exigés et les résultats obtenus, la réponse est non.
L'Empire de Napoléon Ier, puis le second Empire, se sont achevés sur des désastres. Le général Boulanger dans l'opposition et le maréchal Pétain au pouvoir, apparentés au bonapartisme, n'évoquent pas des souvenirs glorieux. Et pourtant, on continue à se référer au bonapartisme de manière souvent flatteuse. J'ai voulu voir pourquoi."
L. J.
D'Hugues Capet à Philippe Auguste, les premiers monarques capétiens jetèrent les bases d'un gouvernement monarchique absolu qui allait durer jusqu'à la Révolution française. Si, après l'élection d'Hugues Capet, en 987, la dynastie s'enlise au milieu des châteaux et des guerres de voisinage, au tournant de l'an 1100, les monarques capétiens entreprennent d'exploiter, accélérer ou simplement accompagner les profonds bouleversements qui agitent la société féodale pour donner naissance à un mode de gouvernement inédit jusque-là.
En effet, les mutations sociales qui s'amorcent au début du deuxième millénaire sont riches de potentialités dans tous les domaines : socio-économique, culturel, religieux. Dominique Barthélemy choisit donc d'allier dans son propos une étude de cette société qui se transforme à une exploration du processus monarchique pour mieux mettre en lumière l'avènement de cette hégémonie inédite qui sera définitivement en place avec le règne de Philippe Auguste.
En s'appuyant sur les chroniques de l'époque et et sur les récentes découvertes de l'anthropologie sociale, il met au jour le fonctionnement d'un système de canalisation des conflits et dévoile le caractère structurel et dynamique du système féodal pour donner un nouveau sens à la fameuse " mutation " de l'an 1100, si décisive dans l'établissement de la monarchie française et de la transformation de la France en nation.
Jean-Frédéric Schaub, né à Paris en 1963, ancien élève de l'École normale supérieure, ancien membre de l'École des hautes études hispaniques-Casa de Velázquez, est actuellement maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales;
Quand Lavisse affirme "Louis XIV fut un roi plus espagnol que français...", il reprend un thème élaboré dans le Refuge protestant et illustré au XIXe siècle par les historiens de tendance républicaine. S'agit-il simplement de l'enregistrement d'un argument pamphlétaire? On peut penser, au contraire, que la dette de la monarchie française à l'égard de l'espagnole fut bien réelle. Les textes français du Grand Siècle témoignent de la réception d'un héritage espagnol que Versailles et l'affirmation nationale postérieure ont fini par gommer. Retrouver les traces de cette reconnaissance, c'est critiquer les fondements de l'"exception française" tout autant que de la "différence espagnole".
De la fin du Moyen Âge au tournant du XIXe siècle, le gibet trône en plein cœur de Paris comme de Londres ; la souffrance et le supplice, le spectaculaire de l'exécution sont parmi les pièces maîtresses du système pénal. Cette omniprésence de la peine de mort est-elle le signe d'une société violente ? D'un processus de civilisation encore inachevé ?
Loin des idées reçues, ce livre révèle la place centrale et jamais démentie de l'exécution capitale dans l'histoire culturelle de l'Europe. À l'appui d'archives, de récits contemporains, de documents iconographiques, Pascal Bastien dresse une véritable cartographie de la mort à Londres et à Paris et redonne la voix aux suppliciés, tout en restituant le quotidien des bourreaux. On entend s'élever les clameurs de la foule et on comprend, enfin, que la peine capitale a pu constituer et préserver le lien social.
Alors que la France vient de connaître quatre régimes différents en un demi-siècle, la révolution de 1848 semble rouvrir le temps des remous et des hésitations. Et pourtant, de l'éphémère Deuxième République au Second Empire et jusqu'à la Commune de Paris, c'est bien l'expérience démocratique qui fait ses armes. Balbutiante, encore fragile, la démocratie parlementaire s'impose ainsi définitivement à l'issue de la guerre franco-prussienne de 1871 – clôturant près d'un siècle de bouleversements politiques.
Rien d'évident, pourtant, dans cette victoire a posteriori. Derrière les événements politiques, cet ouvrage retrace les avancées et les reculs, les intuitions fulgurantes de l'avenir comme les ultimes lueurs du passé, et brosse l'ample tableau d'une France résolument engagée dans son siècle : du suffrage universel aux libertés publiques, des grands travaux urbains à l'essor du monde ouvrier, de l'expansion coloniale au soutien apporté au printemps des peuples, s'impose une " modernité " aux multiples visages, parfois contradictoires.
Bien plus, retraçant l'histoire nationale à l'aune des événements européens, Quentin Deluermoz met au jour un " esprit du siècle " propre à la France. Encore indicible, presque imperceptible, quelque chose de neuf, qui transformera durablement le pays, est en train de prendre, tandis que l'ombre de la Révolution française jette ses derniers feux.
Quentin Deluermoz est maître de conférences à l'université Paris XIII. Il vient de publier Policiers dans la ville (Presses de la Sorbonne, 2012).
Pour se distinguer d'une bibliographie pléthorique sur le Premier Empire, cet ouvrage peut faire valoir trois ambitions majeures : rassembler, renouveler, anticiper.
Rassembler : il manquait une grande synthèse suggestive qui ne se laissât pas prendre aux rets de la biographie anecdotique, de l'histoire événementielle ou du roman national, et saisisse le régime à la fois comme une république et une monarchie, en le replaçant dans le contexte postrévolutionnaire.
Renouveler : Aurélien Lignereux saisit les flux qui innervent ses diverses parties d ans une perspective délibérément européenne, suivant les récentes recherches d'historiens anglo-saxons et italiens, sans cesser d'interroger le lien entre Napoléon et les 40 millions de Français embarqués dans l'aventure impériale.
Anticiper : il s'agit aussi de poser les fondements d'une histoire nouvelle qui prenne au sérieux l'idée impériale comme expérience, certes inachevée mais décisive dans les représentations collectives, de transmutation de la nation française en Empire, avec toutes les contradictions qu'implique la rencontre entre expansionnisme et universalisme.
Prise entre la légende dorée napoléonienne et le mythe républicain, attaquée de toutes parts pour des raisons politiques et idéologiques et privée des courants qui auraient pu s'en revendiquer et la défendre, la monarchie censitaire a longtemps fait l'objet d'un refoulement collectif et a été traitée comme une simple parenthèse réactionnaire, une hérésie au regard du sens de l'histoire, a fortiori de l'histoire de France.
C'est faire naïvement crédit aux bruyantes proclamations de retour en arrière ; c'est se montrer plus royaliste que le roi de ne pas voir combien, par sa redéfinition de la légitimité du pouvoir, par son renouvellement du personnel politique, par le pragmatisme inédit d'un pouvoir soucieux de se concilier ses administrés, par l'acclimatation du parlementarisme et de certaines libertés civiles et politiques, par sa recomposition tendue des hiérarchies sociales, par son effervescence intellectuelle et artistique, la Restauration, puis la monarchie de Juillet, sont synonymes de rénovation, et donnent alors au pays une place à part dans le concert des nations.
La France et les Français s'engagent dans une douloureuse réinvention de leur passé et s'adonnent à des projets d'avenir qui bouleversent les rapports de force et recomposent les lignes de clivage d'une société en pleine transformation.
A la fin du XVIIe siècle, au seuil de la "modernisation" voulue par Pierre le Grand, la société russe nous semble bien énigmatique. Pour tenter de la comprendre, il ne faut ni tomber dans le piège des ressemblances avec les sociétés occidentales, ni succomber à la maladie bien historienne du classement. André Berelowitch évite ces deux écueils de façon magistrale en donnant à l'historiographie française de la Russie une de ses plus belles études. Rompant avec les stéréotypes (influence asiatique, "féodalisme", etc.), analysant au plus près les pratiques, les rituels, l'imaginaire de la noblesse russe, éclairant l'apparente irrationalité des incessantes querelles de préséance qui agitent le monde de la cour, André Berelowitch parvient à faire entrer peu à peu le lecteur dans un univers original, cosmos humain qui se veut reflet du divin. Le sacré est au cœur de la combinatoire des places, attribuées selon des règles à la fois savantes et mobiles. L'honneur, la fidélité, le service des armes n'y ont pas moins de valeur que l'âge, la fonction ou l'ancienneté du clan. Société hiérarchique, qui pourrait bien être restée intacte jusqu'à nos jours, en dépit des vicissitudes d'une histoire tumultueuse.